Avec le court-métrage documentaire D’ici, d’ailleurs (2023), le réalisateur Chadi Bennani laisse la place aux réflexions sur l’identité culturelle des immigrants de deuxième et troisième génération.
Dahlia, Ana et Adam ont 16 ans. En plus de leur amitié, ils partagent un bagage familial et culturel traversé par l’immigration et les questionnements qui viennent avec.
Au fil de leurs discussions en classe, entre amis, ou avec des membres de leur famille, le public découvre trois jeunes sensibles et curieux, qui s’interrogent sur leur identité multiforme et leur place dans la société québécoise.
Genèse
Chadi Bennani a été confronté aux mêmes interrogations à son entrée à l’école secondaire. Né d’une mère québécoise et d’un père marocain, il passe son enfance aux États-Unis, jusqu’à ce que la famille déménage en banlieue de Montréal. Il a alors 12 ans.
« En secondaire un, c’était la première fois de ma vie où on m’a attribué l’étiquette d’Arabe, et ça m’a lancé dans un tourbillon de questions par rapport à mon identité, par rapport à qui je suis. Je ne pensais pas me faire étiqueter dans un pays que je croyais le mien, vu que c’était celui de ma mère et celui de ma famille », admet-il. Un sentiment de n’être « jamais assez arabe, assez marocain ou assez québécois » l’a suivi toute l’adolescence, jusque dans la vie adulte.
En travaillant sur son premier film, Nicole, le jeune réalisateur est à nouveau confronté à ces enjeux : en tant qu’artiste, il entre dans la catégorie « issu de la diversité » — une étiquette qu’il n’aurait pas forcément revendiquée de lui-même. « Ça m’a surpris, et j’ai senti le besoin d’aller fouiller pourquoi je me sentais comme ça, d’où ça venait », explique-t-il.
Il décide de prendre la question à bras le corps et d’en faire un film, remontant à la source de ses « cheminements identitaires », à la fois intimes et profondément collectifs : l’adolescence.
Transmission
Les trois jeunes que l’on suit dans D’ici, d’ailleurs ont été choisis suite à un processus de recherche et à de longues conversations. Certains vivent bien leur identité plurielle, tandis que d’autres semblent tiraillés entre les cultures et, surtout, les perceptions.
« Je sens que j’appartiens à ce groupe d’une certaine manière, mais je n’ai pas l’impression que ce groupe considère que j’y appartiens. Oui, à un certain point, mais il reste toujours cette partie… “Elle est noire.” À cause de ça, je ne me sens pas québécoise à 100 %. Et je ne me sens pas non plus béninoise, parce que je suis québécoise. C’est un peu un casse-tête », résume la sœur d’Adam, en discussion avec lui devant la caméra intime de Chadi Bennani.
Le réalisateur soutient d’ailleurs « qu’on parle beaucoup d’immigration immédiate, de première génération, mais cette notion de legs et d’héritage, et de culpabilité de porter cet héritage, j’en ai très peu entendu parler. Moi j’avais besoin de le mettre de l’avant », affirme-t-il.
Alors que, selon lui, la société québécoise « ouvre de plus en plus la porte à des artistes de la diversité », il juge important de se poser certaines questions : « qu’est-ce que ça veut dire, diversité ? Et qu’est-ce que ça va vouloir dire dans dix ans, dans vingt ans ? »
Des réflexions qui existent notamment dans l’espace familial. « Pour moi c’était comme une évidence que pour parler de ce qu’on porte, il faut parler aux gens et avec les gens qui nous l’ont transmis », soutient-il, ajoutant que « c’était très important pour moi de mettre ces jeunes en contact direct avec la famille, et donner place à ces échanges-là ».
Une réflexion sur la transmission traduite à l’écran à travers des scènes comme celle où la grand-mère de Dahlia lui apprend à sa recette de baklavas syriens, et que celle-ci promet qu’elle viendra désormais l’aider à préparer les plats traditionnels du temps des fêtes.
D’ici, d’ailleurs sera projeté en première mondiale lors de la soirée d’ouverture des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), le 15 novembre 2023 à 19 h, au cinéma Impérial de Montréal.
Photo : Chadi Bennani