Alors que le Liban traverse une crise économique historique, les Libanais qui le peuvent continuent de quitter leur pays pour un horizon moins incertain. C’est le cas de deux fiancés, Rayane et Yousef, arrivés en mai 2022 à Montréal. Si leur migration a pris deux ans, leur installation, elle, était bouclée en quelques semaines.
Rayane et Yousef ne pourraient être plus heureux. « On a trouvé la paix d’esprit ici », résume Rayane, 30 ans et analyste de données financières. Assis à la terrasse d’un café de la Place des Arts, à deux pas de leurs emplois respectifs, le couple ne tarit pas d’éloges à l’égard de Montréal et du Québec. « On se sent accueillis, les gens sont souriants avec nous et nous soutiennent », se réjouit Yousef, 33 ans, employé de service à la clientèle pour une compagnie internationale.
Rayane ajoute ne pas se sentir « comme une étrangère ». « J’ai l’impression d’avoir toujours vécu ici », explique-t-elle. Un sentiment qu’elle chérit, car elle sait que cela ne va pas de soi, selon le pays ou la ville d’installation. « J’ai déjà tenté de m’installer en France, à Limoges, et je ne me suis pas sentie bien du tout », poursuit-elle.
Aujourd’hui, si Rayane se réjouit d’avoir trouvé un poste à la hauteur de ses qualifications, Yousef est très heureux de son emploi, même s’il ne correspond pour l’instant pas à sa formation. « Je savais que j’allais devoir recommencer à zéro et je pourrais évoluer ; on en a déjà parlé avec les ressources humaines », explique-t-il.
Fuir la crise
Pour Rayane et Yousef, émigrer du Liban était une évidence. « J’ai toujours cherché à vivre à l’étranger, je ne voulais pas avoir d’enfants au Liban. On est en mode survie, là-bas », partage Rayane. Il faut dire que la vie au Pays du Cèdre est devenue un combat quotidien. « À Montréal, on fait la file pour aller au restaurant ou acheter une crème glacée. Au Liban, on fait la file pour remplir sa voiture d’essence », pointe-t-elle.
Depuis 2019 et les révoltes populaires appelées thawra (révolution en arabe), une crise économique s’est déclenchée, la monnaie a perdu presque la totalité de sa valeur et l’inflation ne cesse d’augmenter. L’explosion du port de Beyrouth en 2020, la pandémie de COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine ne font qu’empirer la précarité de la population. Le Liban souffre aujourd’hui de la pire crise économique depuis 1850, et 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
« La situation était déjà difficile avant », se souvient Yousef. Les problèmes d’électricité existaient déjà et la corruption aussi. C’est ainsi qu’avant même de nous rencontrer, l’un comme l’autre avions décidé de quitter le pays. « J’ai pensé à émigrer quand j’ai terminé mon master, en 2018 », raconte le jeune homme. Il savait déjà qu’il voulait aller à Montréal, car son frère y est installé depuis plus de 10 ans.
Chanceuse
De son côté, Rayane ne trouvait plus d’emploi dans son domaine au Liban. Après que la banque dans laquelle elle travaillait ait fermé, elle a réussi à trouver un emploi en marketing. « Mais je n’y connaissais rien, et durant les trois derniers mois où j’y étais, il n’y avait pas d’électricité ! », partage la jeune femme.
C’est en 2019 qu’une amie lui explique le processus d’immigration au Canada. Elle commence alors les démarches et rejoint les nombreux groupes WhatsApp de Libanais qui tentent l’immigration au Canada ou ont déjà réussi. « Pour l’anecdote, c’est comme ça que j’ai rencontré Yousef ! Quand je me suis installée à Beyrouth pour mon nouveau travail en marketing », rit-elle.
En partageant son parcours, elle explique à quel point elle a eu de la chance : « J’ai fait mes démarches alors que la livre libanaise n’avait pas encore perdu sa valeur, donc les tests et les démarches étaient accessibles pour moi » (aujourd’hui, les frais liés à l’immigration représentent une fortune pour la majorité des Libanais. Le salaire minimum est environ de 45 $US selon le taux de la livre libanaise au marché noir, alors qu’il était de 450 $US avant la crise, NDLR). Autre coup de chance, elle a reçu son invitation juste avant qu’Ottawa suspende ses invitations jusqu’en juillet 2022.
Salon de l’immigration et de l’intégration au Québec
18 mois plus tard, Rayane reçoit son visa et réserve son avion. « Nous sommes arrivés Yousef et moi en mai 2022 », conclut-elle avec fierté. Leurs valises sont à peine défaites qu’ils décident de se rendre au Salon de l’immigration et de l’intégration au Québec, qui a eu lieu les 25 et 26 mai 2022.
Sur place, le couple est étourdi par la quantité de services accessibles, ainsi que sur l’accueil et le soutien qu’ils reçoivent. « Le salon était l’exemple parfait de ce que les personnes immigrantes représentent pour le Canada », estime Rayane. Ils y ont rencontré une multitude d’employeurs et d’organismes, et ont été surpris d’apprendre qu’ils pourraient même avoir des cours de français gratuits.
Durant le salon, ils se sont surtout rapprochés de YES Montréal, un organisme offrant des services d’emplois aux jeunes. Avec lui, Rayane et Yousef ont appris à adapter leur CV, à faire une entrevue et à trouver un emploi. Et c’est cette aide qui a tout changé. « On nous a expliqué qu’ici, les employeurs utilisaient beaucoup LinkedIn, alors on a créé un profil et on a été contactés pour des entrevues », poursuit le couple. C’est ainsi qu’ils ont trouvé leurs emplois respectifs.
Trouver la dignité
Tout est allé très vite pour Rayane et Yousef. Si vite qu’ils n’ont pas eu le temps de ressentir de nostalgie ou de mal du pays. « Il y a un peu de Liban ici aussi, et on appelle nos familles régulièrement », raconte Yousef. Lorsqu’on leur demande s’ils ont des projets, Rayane s’exclame « Oui ! » : après le mariage à la fin de l’été, ils prévoient d’avoir des enfants et d’acheter une maison. Pour le lieu, cela dépendra de leurs emplois : « Si nous restons dans les mêmes entreprises et que tout se passe bien, il n’y a pas de raison de bouger de Montréal ».
Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne comptent pas retourner vivre au Liban, sauf pour voir la famille. « On a trouvé la dignité ici, il y a des opportunités, des standards de vie », exprime Yousef. Avec sa fiancée, il ne cesse de partager sa reconnaissance, à quel point ils se sentent chanceux. Chanceux de pouvoir penser à leurs projets seulement, à leur carrière, loin de la politique et des problèmes d’essence et d’électricité.
Photo : Jametlene Reskp