Fin 2020, le Canada annonçait une hausse majeure de ses seuils d’immigration pour les années 2021 à 2023, avec pour double objectif de combler le déficit de 2020 et de relancer son économie dans le sillage de la Covid-19. Les personnes francophones qui souhaitent s’installer ailleurs qu’au Québec sont particulièrement visées.
Les chiffres annoncés fin octobre 2020 par le gouvernement fédéral ont pris des proportions inédites : 401 000 nouveaux immigrants permanents 2021, 411 000 en 2022, et 421 000 en 2023 — pour l’ensemble du Canada. Une hausse d’autant plus substantielle si on la considère à la lumière des seuils prévus pour 2020 avant la pandémie, soit 352 000 personnes initialement attendues, pour un total estimé, finalement, à 110 000 environ en raison de la Covid.
Aussi positive qu’elle soit pour l’immigration, l’annonce en a aussi surpris certains, alors que le contexte sanitaire laisse toujours planer son lot de doutes sur une année 2021. Mais si les frontières du pays sont toujours fermées à la plupart des ressortissants étrangers, nombreux sont ceux qui saluent la volonté affichée de garder le cap sur les objectifs d’immigration, en particulier francophone.
Attirer les francophones
En 2019, l’immigration francophone au Canada (hors Québec) ne représentait que 2,82 %, soit 8 465 personnes. Favoriser le renforcement des minorités francophones dans les provinces anglophones, dont certaines sont très fragilisées, est devenu une priorité du gouvernement fédéral. Les candidats francophones à l’immigration permanente par le biais du programme Entrée express se voient ainsi récompensés, de 15 à 25 points s’ils parlent français, et de 30 à 50 points pour les candidats bilingues français-anglais.
« Il n’est pas évident de se qualifier par le biais d’Entrée express, alors cela donne un grand avantage aux francophones », explique Me Gabriel Faribault, avocat pour le cabinet Immétis.
Seulement, si parler français peut être un avantage conséquent pour immigrer, il semble que la réalité de l’installation soit différente. Ainsi, à l’extérieur du Québec, l’anglais demeure essentiel pour travailler. « Il y a une réticence à aller dans une province anglophone, parce qu’il faut maîtriser l’anglais pour s’intégrer », résume Me Faribault, pour qui le plus dur sera peut-être de convaincre les francophones de répondre à l’appel.
Entrée express, la résidence permanente en 6 mois
Mais pour motiver l’immigration francophone dans les provinces anglophones, le programme Entrée express peut s’enorgueillir d’arguments de poids.
Entrée express gère les demandes présentées dans trois volets de l’immigration économique :
- Le Programme des travailleurs qualifiés (fédéral),
- Le Programme des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral), et
- La Catégorie de l’expérience canadienne.
Souvent comparé à l’équivalent fédéral du système québécois Arrima, Entrée express repose sur une sélection des candidats selon une grille de points, attribués en fonction des langues parlées, des diplômes, de l’expérience de travail, etc. Comme Arrima, le fonctionnement d’Entrée express implique que certains profils ont peu de chances de se qualifier. Mais, contrairement au système québécois, Entrée express est une voie à la fois rapide et directe vers la résidence permanente fédérale. En effet, les délais sont normalement de 6 mois après le dépôt de la demande, et atteignent plutôt de 7 ou 8 mois depuis la pandémie. Et, s’agissant d’un programme fédéral, qui concerne l’immigration dans les provinces autres que le Québec, nul besoin de mener des démarches auprès des autorités québécoises. L’immigration via Entrée express échappe à Québec, car les personnes immigrantes qui ont obtenu leur résidence permanente grâce au programme s’engagent, en principe, à vivre ailleurs que dans la province francophone — et il sera tenu de s’installer dans la province ou territoire dont il aura été candidat, et grâce à qui, par conséquent, il aura été en mesure d’immigrer au Canada.
Ces mesures concurrencent-elles les plans de Québec ?
La volonté d’attirer l’immigration francophone hors du Québec n’est pas nouvelle à Ottawa, mais elle intervient cette fois à un moment particulier. « Le timing est excellent », souligne Gabriel Faribault, qui voit le durcissement des conditions d’accès à la résidence permanente depuis le Québec, couplé aux effets de la pandémie sur le traitement des demandes, comme un argument supplémentaire à envisager l’immigration au Canada par le biais des autres provinces.
Lui et ses collègues recommandent de plus en plus Entrée express, qui présente des avantages pour certains. « Pour ceux qui veulent absolument aller au Québec, on leur explique qu’ils devront vivre avec un statut temporaire pendant 4 ou 5 ans minimum, avec tous les problèmes que cela implique », explique-t-il.
Reste qu’un écueil subsiste dans les rouages d’Entrée express. En effet, aucune mesure coercitive ou punitive n’est prévue pour contraindre les candidats sélectionnés à s’installer ailleurs qu’au Québec. De même, il semble qu’il n’y ait pas non plus de suivi des personnes immigrantes une fois qu’elles sont admises. « Parmi notre clientèle française, la question revient systématiquement », affirme Me Faribault, pour souligner l’intérêt prioritaire de ce public pour le Québec.
Une faille qui pourrait avoir des conséquences sur la réalisation de ses objectifs par le Canada, au profit du Québec. Mais, autre effet pernicieux de la situation, elle pourrait également priver en partie Québec de ses prérogatives en matière d’immigration, en permettant aux personnes immigrantes de contourner totalement le volet provincial de sélection permanente.
Avocats et conseillers en immigration s’accordent pour recommander aux candidats à Entrée express d’être de bonne foi au moment de la soumission de leur dossier, et de vivre au moins un an en dehors du Québec. Rappelons tout de même qu’en cas de doute sur les intentions du candidat, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada peut lui refuser sa demande de résidence permanente.
Mais rappelons aussi que, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, il n’est pas illégal pour un résident permanent de finir par vivre au Québec s’il n’a pas réussi à trouver du travail dans sa province d’installation.