À bien des égards, la pandémie de Covid-19 a révélé la précarité de beaucoup de personnes immigrantes déjà installées ou en partance pour le Québec. Face à des situations souvent critiques, la société civile comme les pouvoirs publics ont permis des avancées à leur égard sur des questions depuis longtemps en suspens.
Ils sont caissiers, chauffeurs de taxi, travailleurs agricoles, ouvriers, préposés aux bénéficiaires ou concierges, des emplois habituellement peu valorisés, mais dont la nécessité a soudainement été imposée par les conséquences de la pandémie. Au Canada, « les travailleurs étrangers représentent une large part des emplois nécessaires », affirme l’économiste Gilles Grenier. En témoignent par exemple les chiffres d’IRCC selon lesquels un travailleur de la santé sur quatre est une personne immigrante.
Au Québec, la société civile s’est mobilisée pour les soutenir, mais aussi pour défendre leurs droits. C’est ainsi que la première vague de la pandémie a vu émerger de nombreuses initiatives citoyennes, mais aussi politiques, pour venir en aide aux personnes immigrantes les plus vulnérables.
Un premier pas
Avant la crise, tout juste avait-on conscience de l’existence de « travailleurs essentiels » – sans savoir précisément à qui on faisait référence. La question de la reconnaissance des travailleurs essentiels sans statut, souvent en première lignes, a été l’une des plus débattues. Le 25 mai 2020, Québec promettait une régularisation « au cas par cas » de certains précaires. Le 9 juin 2020, c’était au tour du gouvernement fédéral d’annoncer que les travailleurs de la santé à statut précaire allaient être régularisés.
« On remercie le Canada pour le premier pas. Ils seront accueillis avec dignité », applaudit Frantz André, directeur du Comité d’action pour les personnes sans statut, non sans une certaine amertume. « Cela va provoquer beaucoup de joie à ceux qui sont éligibles, mais énormément de douleurs aux autres ». Ottawa et Québec discutent encore à ce jour des critères d’admissibilité.
Mais la précarisation et la marginalisation des personnes immigrantes ne s’est pas observée que dans les secteurs essentiels.
Surexposition à la Covid-19
Il apparaît que les quartiers qui ont subi la crise le plus fortement sont aussi ceux où la population est la plus précarisée, et où la proportion de personnes immigrantes ou issues de la diversité est la plus élevée. Selon l’INRS, les immigrants récents sont trois fois plus nombreux dans les quartiers défavorisés que dans l’ensemble de la région métropolitaine de Montréal.
Montréal-Nord compte par exemple 9,3 % des cas de Covid-19 de la Ville de Montréal et sa population immigrante représente 44 % de l’arrondissement. À Côte-des-Neiges (CDN), 50 % des résidents sont issus de l’immigration et le quartier concentre 8,1 % des cas, selon les données de Santé Montréal. Des chiffres à mettre en regard de ceux des autres arrondissements de Montréal, 2,7 % en moyenne.
Dans ces arrondissements, la précarité s’accompagne de problèmes de santé, d’insalubrité, mais aussi d’une forte densité de population. Nombreux sont les travailleurs essentiels qui ont continué à travailler et à se déplacer. Autant de raisons qui ont largement augmenté les risques sanitaires liés à la Covid-19.
Disparités dans l’accès aux services de santé
Qui pose la question de l’exposition à la maladie, pose également celle de l’accès aux soins de santé. Or, la pandémie mis en lumière plusieurs failles du système en temps de crise. En effet, s’il existe des ententes permettant à certains résidents temporaires d’être couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), il n’en va pas de tous les étudiants et travailleurs étrangers temporaires.
De plus, même à ceux qui y ont droit, l’accès à la RAMQ est conditionné à la validité du permis de travail ou d’études de son titulaire. Les personnes dont le permis a expiré depuis le début de la crise ou qui en attendent le renouvellement n’ont ainsi pas été en mesure de renouveler leur carte d’assuré et ont ainsi perdu le bénéfice du régime universel, le temps de recevoir un nouveau permis. Elles ont ainsi 2t2 contraintes de contracter de coûteuses assurances privées, à un moment où leurs ressources étaient déjà fragilisées.
Et la situation est encore plus difficile dans le cas de familles : le demandeur principal qui perd temporairement son droit à la RAMQ fait perdre ce même droit à son conjoint et à ses enfants, y compris lorsque ces derniers, mineurs, sont nés au Québec et ont la nationalité canadienne. Sans doute cette situation a-t-elle joué un rôle dans l’annonce du ministre de la Santé et des Services sociaux selon laquelle le gouvernement s’engageait à ouvrir l’accès au régime de santé à tous les enfants nés au Québec, y compris ceux dont les parents ont un statut temporaire.
Aussi, afin que la santé soit accessible à tous en temps de pandémie, Québec a déclaré payer les soins (liés à la Covid-19 seulement) des personnes sans carte soleil. Une initiative qui va dans le bon sens, mais à laquelle Frantz André, émettait cependant un bémol pendant le confinement : « Certains centres de dépistage n’ont pas eu de directives claires. Sur le terrain cela peut s’avérer compliqué et aléatoire ».
Méfiance des plus vulnérables
« Les informations se transmettent très vite, et si une personne se voit refuser un dépistage, elle le diffusera et d’autres n’oseront plus tenter », poursuit Frantz André. On a senti beaucoup de retenue parmi les personnes immigrantes en situation de précarité. Selon lui, celle-ci provient d’un sentiment de rejet déjà ancré, et qui fait craindre qu’un résultat positif au dépistage puisse nuire à une demande d’immigration temporaire ou permanente.
« Une femme dont le mari est mort de la Covid-19 a refusé de se faire tester, alors qu’elle avait des symptômes. Elle avait peur pour son visa », raconte Frantz André. Au-delà de cette méfiance institutionnelle, il précise que nombreux sont ceux qui refusent de se rendre en centre de dépistage par peur d’être stigmatisés.
Déjà familier de ce type de situations, les milieux communautaires de Montréal-Nord ou de CDN ont instauré une communication et des services plus accessibles aux populations immigrées et précaires. Ils ont ainsi participé aux initiatives de cliniques mobiles de dépistage de la Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP), en distribuant notamment des feuillets d’informations en 12 langues. Plus accessibles, ces cliniques mobiles ont été un moyen porteur de lutter contre l’isolement.
Barrières linguistiques
Inspirée par une idée de Parole d’excluEs, à Montréal-Nord, la Corporation de développement communautaire (CDC) de Côte-des-Neiges a aussi mis en place un camion porte-voix qui diffusait des messages sonores de sécurité et de gestes barrière en 14 langues. L’idée était de maintenir la communication et de parvenir à informer les populations peu francisées ou anglicisées.
« On a reçu beaucoup de sympathie, car la population sentait qu’on ne l’oubliait pas dans cette crise », témoigne Dina Husseini, organisatrice communautaire — Interculturel à la CDC de Côte-des-Neiges. Une démarche inclusive pour s’assurer que les barrières linguistiques et ne se traduisent pas en risques sanitaires accrus.
« Le gouvernement n’avait pas traduit les messages de santé publique, et des personnes nous en ont demandé. Beaucoup de personnes immigrantes vivent derrière les murs de la langue. C’est un enjeu sur lequel la CDC travaille déjà », explique Dina Husseini. Peu après, Santé Canada mettait en place des ressources d’information aux populations en plus de 20 langues.
Difficultés d’accès à la PCU
Ces problèmes linguistiques ont aussi pu être un obstacle pour accéder à la Prestation canadienne d’urgence (PCU). « Pour les nouveaux arrivants, l’accès pouvait être plus compliqué, et le message institutionnel opaque », explique Benoit Malric, directeur des Programmes immigration pour la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).
S’informer sur la Covid-19 ou demander la PCU sont des démarches qui requièrent aussi une connexion internet décente, une familiarité avec un ordinateur et les sites gouvernementaux. Or, les lieux d’assistance comme les bibliothèques, les organismes communautaires, les bureaux gouvernementaux) étaient fermés pendant le confinement.
« Au moins 47 000 travailleurs licenciés [n’ont pas eu] la PCU parce qu’ils ne la connaissaient pas, même s’ils y étaient probablement admissibles », écrivait ainsi l’économiste David Macdonald en avril dernier.
D’autres ont été disqualifiés malgré leur précarité. C’est le cas de ceux qui avaient perdu leur emploi avant le 15 mars, ou encore des travailleurs qui, en plus de la RAMQ, avaient aussi vu leur numéro d’assurance sociale (NAS) expirer à la fin de leur permis, alors qu’il était requis pour demander l’aide.
Sans compter, bien sûr « que beaucoup de personnes n’avaient pas accès à la PCUm faute de revenus suffisants », rappelle Benoit Malric. Il fallait avoir gagné 5 000 $ CAN en 2019 pour être éligible. Au Québec, on estime qu’environ 175 000 personnes licenciées à cause de la Covid-19 n’ont pas été admissibles à la PCU, selon David Macdonald.