Rescapée du génocide commis contre les Tutsis du Rwanda, Marie-Josée Gicali a connu une deuxième vie au Québec, en étant sélectionnée pour une bourse d’excellence. C’était il y a 21 ans. Devenue Docteure en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) elle s’est reconstruite entre le devoir de mémoire et un potentiel de vie hors du commun.
Le 18 août 1998, Marie-Josée Gicali arrive à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau à Montréal, elle a 33 ans. Quatre ans auparavant, le génocide commis contre les Tutsis du Rwanda est venu briser tous les rêves de l’élève brillante qu’elle avait toujours été. À l’image du pays, sa vie est anéantie. Parmi les rares rescapés dans son entourage, son père, un de ses frères, quelques amis, tellement de souffrance et de deuils. Mais il lui reste aussi la vie et une promesse, celle de ne jamais baisser les bras et se relever, la tête haute.
Ce jour d’août 1998, ce n’est pas seulement une bourse d’excellence pour poursuivre ses études que le Québec vient d’offrir à Marie-Josée : c’est une deuxième vie, rien de moins.
« J’avais un tel sentiment de gratitude et de reconnaissance, parce que durant toute ma vie j’ai grandi dans un pays où il y avait un système de quotas dans le droit à l’éducation pour les Tutsis ». Une discrimination dans les études qui lui fait perdre beaucoup d’années. « Au Québec, pour la première fois, j’ai obtenu quelque chose de formidable, la reconnaissance de la personne que j’étais, de mon potentiel, sans que mon appartenance ethnique joue là-dedans, car, enfin, elle n’avait pas de place. »
L’éducation, entre intégration et fer de lance
En poursuivant ses études à l’UQAM, Marie-Josée s’intègre à la société québécoise. « Je ne dirai pas que ça a été très facile, mais le fait de parler français, d’avoir une instruction, d’être dans un cadre universitaire avec beaucoup d’empathie des professeurs et employés au courant de mon histoire, ça m’a aidé, petit à petit, je me suis fait des amis. » Surtout, elle travaille sur un projet d’ampleur qui va participer à la reconstruire. « Je voulais comprendre le rôle de la femme rwandaise dans l’éducation pour la paix. C’était mon projet de mémoire qui a été fort apprécié quand je l’ai présenté. J’avais aussi l’occasion de retourner travailler sur le terrain au Rwanda et de contribuer à faire quelque chose dans mon pays d’origine. »
Il lui faut également honorer une promesse, celle de se rendre le plus haut possible dans ses études, « pour honorer en tant que survivante tous ceux qui n’avaient pas pu le faire, tous ceux victimes comme moi de discrimination, et puis pour me sentir vivante ».
Vivante, elle l’est d’autant plus qu’elle vient, après sa maîtrise, de rencontrer l’homme de sa vie, Yvon, un Québécois de 21 ans son aîné. En même temps qu’elle étudie pour le doctorat, elle donne naissance à leurs deux enfants, Moïra et Raphaël.
« Ça m’a pris du temps, donné du découragement, et aussi la culpabilité parfois de ne pas être à la hauteur, cette sorte de sentiment qui m’habitait à l’époque, mais je me suis rendue au bout », raconte-t-elle, toujours positive. Avec la force de vie qui la caractérise, la voici diplômée Docteure ès éducation.
Une identité franco-québécoise
De l’autre côté du volet de l’éducation, il y a la mère de deux petits Québécois. « Bébés, je leur chantais des berceuses dans ma langue maternelle, le kinyarwanda comme ma mère le faisait, je finissais en pleurs, car ma mère était dans ces moments toute aussi présente qu’absente. »
C’est à la naissance de sa première fille que Marie-Josée connaît son premier grand choc culturel : « Au Rwanda la jeune mère est très entourée par tout le monde, famille, amis, voisins… Là, je me retrouvais toute seule, c’était très compliqué », se souvient-elle. Pour se ressourcer et face aux absents, Marie-Josée a sa gang d’amies proches, d’origine rwandaise. « On se retrouve pour parler des souvenirs, raconter ce qu’on a vécu pendant le génocide, c’est très thérapeutique. Mais on parle aussi de nos réalités par rapport à nos familles mixtes, à l’éducation des enfants et aux défis qui nous attendent. L’important c’est de tirer le meilleur de chaque côté ». Garder du Rwanda l’hospitalité, la générosité, la solidarité, la joie de vivre malgré tout, et profiter de ce qui lui est si précieux au Québec : la liberté et cette découverte du « Je ». « Ici, c’est une société qui pense d’abord en termes d’individu, de “Je”, tandis que dans ma culture d’origine le collectif prime, le “Je” vit dans le “Nous”, explique Marie-Josée. À mon arrivée au Québec, j’étais toujours à la recherche d’une communauté ou d’amis par peur de me sentir seule. Désormais, j’apprécie beaucoup ces moments où je me retrouve avec moi-même où mon “Je” existe sans se fondre dans le “Nous”, dans l’équilibre de l’un et l’autre. Ça a été un long travail. »
Pour celle qui se considère tout à la fois Rwandaise, Québécoise et Canadienne, les 21 années passées au Québec ont beau avoir passé vite, elles sont un temps précieux dont Marie-Josée a fait bon usage.
L’urgence du devoir de mémoire
Très vite, elle s’implique auprès des jeunes générations pour leur faire comprendre les dégâts causés pas la haine, l’intimidation et la division. Elle s’engage dans différents organismes communautaires, donne des conférences, devient vice-présidente de l’Association des parents et amis des victimes du génocide des Tutsis, à Montréal. « Mais en même temps, j’avais l’impression qu’il y avait autre chose que je n’avais pas fait, il fallait que j’écrive, que je raconte ce qui m’était arrivé, il y avait une grande urgence pour moi dans ce devoir de mémoire. L’histoire se bâtit à partir d’aujourd’hui ». Et aujourd’hui Raphaël a 12 ans tandis que Moïra va bientôt fêter ses 16 ans. « C’était difficile pour moi de répondre à leurs questions, mais je ne voulais pas qu’ils restent ignorants par rapport à ce qui s’est passé ».
Ainsi est né On n’oublie jamais rien – Le génocide comme je l’ai vécu, l’histoire de son récit profondément émouvant publié en mars 2019 (Éditions Hurtubise). « La résilience, ça permet de prouver que l’être humain est plus grand que ce qu’on pense » témoigne celle qui incarne elle-même un remarquable modèle de résilience.
Le vendredi 22 novembre, de 15 h 30 à 16 h 30 ainsi que le samedi 23 novembre de 12 h à 13 h, venez retrouver Marie-Josée Gicali au Salon du livre de Montréal, Stand 402.
On n’oublie jamais rien – Le génocide comme je l’ai vécu. Marie-Josée Gicali. Les Éditions Hurtubise, 240 pages, 24,95 $CAN.