Dans sa cuisine, Jérémie Jean-Baptiste aime combiner parfums et saveurs, et il en va de même pour sa vie. De ses racines martiniquaises, son vécu français et son immigration québécoise, il a concocté une recette d’intégration culturelle unique.
Quand il est arrivé au Québec, en mai 2014, Jérémie Jean-Baptiste a enfin trouvé sa place. Il s’est senti « citoyen du monde ». Fini d’être un Martiniquais pour les Français, ou un Français pour les Martiniquais : le voilà libre de pouvoir combiner tout à la fois sa culture antillaise, son identité française, et sa nouvelle vie québécoise. Alors, pour marquer cette étape essentielle, celui qui a accumulé les toques de chef indépendant, conseiller culinaire, responsable de banquet et production, et boulanger à ses heures, a voulu créer un produit tout particulier. « Le petit Québécois ». C’est ainsi qu’il signe son pain, une recette unique faite de farine biologique, bière blanche de Chambly, cheddar, pécan, bacon, canneberges et érable… Tous les ingrédients de sa nouvelle vie y sont : un goût passionné pour le Québec sur une technique de confection française.
Un rêve américain sucré-salé
Passé en France par les Journées Québec, un événement dédié au recrutement de main-d’œuvre francophone dans des secteurs d’activité en pénurie, Jérémie Jean-Baptiste a eu le choix du roi : 5 offres d’emplois dans la restauration. En bon cuisinier, il se tourne vers la plus alléchante. À 32 ans, ce touche-à-tout au capital sympathie évident part donc déguster en famille, avec sa femme et leurs deux garçons de 6 ans et 1 an, la douceur de vivre de la ville de Québec. « On ne regrette pas notre choix une seconde, car passer de la campagne bourguignonne française où nous habitions à Québec, c’est paradisiaque pour la vie de famille. Ici, c’est calme, sécuritaire, chaleureux, simple, aux portes de la nature… Montréal est très agréable, mais ça reste la grande ville ».
Pour autant, le rêve américain commence modestement. « Quand nous sommes arrivés, nous avions 3 valises, on avait vidé nos économies pour rembourser nos crédits et seulement 2 000 euros en poche ». L’immigration loin des siens, sans relais, apporte un retour à l’essentiel « être heureux en étant ensemble ».
Cette maxime va lui servir à traverser son lot d’épreuves. Promu chef second après une semaine de travail dans une très grande chaîne de restauration au Québec, un accident grave à la jambe l’oblige à revoir, quelques mois plus tard, tout son plan de vie.
Une intégration finement cuisinée
Jérémie prend sa retraite de la restauration, mais pas de la cuisine, grâce à laquelle il va se réinventer. Tombé dans la marmite familiale antillaise quand il était petit (sa mère tient deux beaux restaurants de spécialités créoles en France), le jeune chef bouillonne et s’enflamme quand il parle de cuisine. C’est sa colonne vertébrale, celle qui va lui permettre de revenir à l’essentiel : le pain. « Manger c’est vital, et le pain, c’est la vie. Si tu sais faire du pain, tu sais manger toute ta vie ». Avec son concept La mi do ré Québec, il partage son savoir de tradition française avec des Québécois de souche, des immigrants et des compatriotes. « J’ai eu beaucoup d’immigrants français qui ont voulu découvrir la manière de faire le pain, retrouver des odeurs, un goût… J’aime transmettre mon savoir-faire. Un terroir, ça ne se déplace pas – mais un savoir, ça voyage ! »
Le voyage culinaire se fait dans les deux sens. « Comme mère nature est moins généreuse ici en termes de fruits et légumes, je me suis tourné vers une culture boréale que je ne connaissais pas. J’ai découvert des petites baies, des plantes, des racines. »
À la maison, le chef mêle « technique française et produits locaux ». « C’est comme ça qu’on est vraiment imprégné de la culture, qu’on la vit et qu’on la mange », témoigne-t-il. Place aux viandes séchées, salaisons, bacon, sirop d’érable, acras et colombo… Une mixité culinaire qui lui tient à cœur tout autant que la mixité culturelle.
Un bol poke de cultures
Grâce à ces enfants, Melvin et Leny, la famille s’est constitué un bon réseau d’amis multiculturels. « À l’école, leurs copains sont espagnols, marocains, italiens, colombiens… Eux-mêmes se perçoivent comme des membres parmi tant d’autres de la diversité. Ils n’ont pas ce désir d’appartenir à une seule culture », décrit-il enthousiaste. Et tous s’imprègnent ensemble des traditions québécoises. « À l’automne, nous allons récupérer les citrouilles, l’été nous faisons les cueillettes, les épluchures de blé d’Inde… ».
Du racisme lié à sa couleur de peau, il n’en a jamais été question. « Je véhicule les Antilles et la France dans leur bon côté. Quand ils me voient, les gens associent la plage, le rhum, la fête, les sourires… et quand ils connaissent mon métier, ils me parlent des bonnes tables ! », sourit-il. Il reconnaît qu’il n’y a pas beaucoup de chefs de couleur qui ne sont pas dans une cuisine de leur culture, et bien souvent, il constate qu’il est le seul noir dans les endroits qu’il fréquente. « Mais en même temps, je ne suis pas arrivé ici en caressant des dos de chiens. Je me suis battu, et si j’ai été bien accueilli, c’est parce que je n’ai pas fait autre chose que me plonger dans mon travail. » Comme beaucoup d’immigrants, il souligne que se faire sa place, c’est beaucoup de patience et d’humilité. Mais une valeur au Québec le stimule particulièrement : « la reconnaissance directe du travail ».
Sorti des fourneaux, Jérémie retrouve son autre passion, la musique. Un langage universel qui a amené ce batteur à jouer cette année au fameux Festival d’été de Québec avec l’un de ses deux groupes. « Un rêve », avoue-t-il. « L’an passé, j’avais eu aussi la chance de faire la Saint-Jean-Baptiste en tant que musicien, j’ai pu apprendre les chansons traditionnelles que tous les Québécois chantent, vivre de l’intérieur cette culture ! C’était un grand moment, confie-t-il, je me suis vraiment senti québécois et intégré ». Le 24 juin, pour Jérémie Jean-Baptiste, c’est aussi sa fête désormais. Celle d’un amoureux du Québec, qui le lui rend bien.
Crédits photo : Tommy Bureauet Jérémie Jean-Baptiste
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Jérémie Jean-Baptiste fait partie des chefs martiniquais de renom invités au Festival Martinique gourmande, du 19 au 29 septembre 2019, qui met les saveurs de l’île aux fleurs à l’honneur à Montréal et Québec, avec près de 45 restaurants participants. Au programme de cette 12e édition, des saveurs, des ateliers de cuisine, des dégustations de rhum, des espaces littéraires et des cours de zouk.