Un an après notre premier coup de projecteur sur les aspirants citoyens, et les conséquences de la COVID-19 sur leur statut et le traitement de leur demande, plusieurs vivent encore dans l’incertitude. Témoignages.
En décembre 2020, nous nous interrogions sur les conséquences de la pandémie sur les aspirants citoyens résidants au Québec. Or, un an après, la situation de certains demeure à la fois précaire et difficile psychologiquement, faute d’avancées — ou simplement de nouvelles — quant au traitement de leur dossier.
David est photojournaliste, et vit principalement au Canada depuis plus de vingt ans. Fin 2019, il décide de demander la citoyenneté canadienne. « Chaque fois que j’allais aux États-Unis, il fallait que je passe par tout un processus avec des photos et des empreintes digitales, alors que les Canadiens n’ont qu’à montrer leur pièce d’identité. Je perdais 45 minutes en démarches », explique-t-il. Ce temps perdu l’a finalement décidé à surmonter son aversion des démarches administratives, à remplir sa demande de citoyenneté et à la mettre dans la boîte aux lettres la plus proche avec un chèque certifié d’une valeur de 600 $ CAN.
À l’époque, David lit sur le site d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté et Canada (IRCC) qu’il pourrait y avoir un délai d’environ huit mois entre le dépôt d’une demande de citoyenneté et la cérémonie de prestation du serment à la Reine, l’ultime étape dans le processus d’obtention de la citoyenneté canadienne. En pratique, selon l’avocate en immigration Claudia Molina, la vérification de la demande initiale, la prise de l’examen et la prestation de serment prenaient environ un an à compléter.
Or, deux ans après le dépôt de sa propre demande, David n’a toujours pas prêté serment. « Ça a pris plusieurs mois pour recevoir un accusé de réception, et plusieurs mois encore pour me faire convoquer à l’examen. Au début, je ne me suis pas trop posé de questions, parce qu’on était en pandémie », explique-t-il. Mais l’attente s’est prolongée, pour David et plusieurs milliers d’autres candidats à la citoyenneté.
Près de 200 000 demandes en attente de traitement
En date du 1er mars 2020, selon IRCC, plus de 200 000 demandes de citoyenneté étaient en cours de traitement. Selon des chiffres obtenus par Radio-Canada en novembre 2021, les chiffres avaient à peine bougé, avec 194 000 personnes en attente. « Pendant la pandémie, les délais ont augmenté de façon importante pour certains dossiers », observe Claudia Molina. « Un délai de deux ou trois ans peut, dans certains cas, être une éternité et causer un préjudice à une personne qui désire exercer son droit démocratique de voter aux élections, occuper un poste qui requiert la citoyenneté canadienne, ou être protégée contre le fait de perdre sa résidence. »
Ashkhen est originaire d’Arménie. Elle a présenté sa demande de citoyenneté en novembre 2019 et reçoit un accusé de réception début décembre. Son examen est ensuite planifié pour le mois d’avril 2020, avant d’être annulé en raison des restrictions sanitaires. Elle parvient finalement à le passer en janvier 2021. Depuis, plus de nouvelles.
« La dernière mise à jour concernant mon cas date du 23 avril 2021. Toutes les étapes étaient indiquées [sur le site web d’IRCC] comme étant complétées, sauf la cérémonie, qui n’a toujours pas eu lieu. » En septembre, elle a écrit à IRCC, et reçu une réponse attribuant le délai à la pandémie et à la pénurie de main-d’œuvre. Plusieurs de ses amis ont reçu des réponses semblables. « On attend, tout simplement », dit la Montréalaise d’adoption. Elle a hâte de pouvoir retourner voir ses proches et rentrer au Canada sans complications.
Pavittra, originaire de la Thaïlande, a fait sa demande en septembre 2019, aussitôt qu’elle avait cumulé le nombre de jours de présence au pays nécessaire. « Je ne voulais absolument pas tarder », explique la comptable de formation. « Mon conjoint est militaire, et j’aimerais devenir militaire aussi, pour ne pas avoir à chercher un nouvel emploi à chaque fois que mon conjoint est redéployé. » Elle a déjà complété une formation pour devenir cuisinière militaire, mais elle n’a pas accès à cet emploi ; pour travailler au sein des forces canadiennes, la citoyenneté est incontournable.
Elle a passé son examen en août 2021, et elle est depuis sans nouvelles de son assermentation. En attendant, elle étudie au collégial pour remettre à jour ses connaissances en comptabilité. Cet été, elle a voulu postuler à un emploi avec le Programme fédéral d’expérience de travail étudiant, mais a été découragée par la mention « La préférence sera accordée aux citoyens canadiens qui satisfont aux exigences du poste. »
« Je me disais que ça allait prendre un an, mais plus de deux ans, c’est inimaginable », lance la cuisinière, avec un rire fatigué. « J’attends. Je ne cherche même plus à savoir combien de temps ça prendra. »
D’un système à l’autre
Jusqu’en novembre 2020, toutes les demandes de citoyenneté étaient envoyées par la poste. Isabelle Dubois, porte-parole d’IRCC, explique qu’après cette date, « un nombre limité » de demandeurs admissibles avaient la possibilité de soumettre leurs demandes en ligne. Elle maintient que les demandes de citoyenneté sont « traitées selon le principe du premier arrivé, premier servi », mais que « chaque demande est unique et le délai de traitement peut varier d’une demande à une autre, en fonction de la complexité des éléments qu’elle contient. » Elle précise qu’il est toujours possible de demander le renouvellement d’une carte de résident permanent pendant qu’on a une demande de citoyenneté en traitement.
Me Claudia Molina ajoute que les aspirants citoyens ont également la possibilité de faire une demande d’accès à l’information pour savoir ce qu’il advient de leur dossier. Avec le soutien d’un avocat, il est possible d’envoyer une mise en demeure ou même d’interpeller la Cour fédérale.
David a finalement été invité à passer son examen de citoyenneté en avril 2021 de façon virtuelle. Il a réussi l’examen, selon ses résultats non officiels, malgré le fait qu’un problème de webcam l’a forcé à se déconnecter et à se reconnecter. En août 2021, toujours sans résultats définitifs, il a écrit à IRCC, et reçu un message l’informant que son examen avait été « annulé pour déconnexions multiples. » Depuis, il attend une nouvelle date d’examen.
« Si on n’est pas dans une situation d’urgence, on nous demande de ne pas faire de demande de suivi. Elles ne seront a priori pas traitées », explique-t-il. « Il n’y a rien de tragique dans ma situation, ce n’est rien à côté des familles séparées ou bloquées à l’étranger. Mais je ne m’explique pas pourquoi une situation somme toute simple comme la mienne peut engendrer de telles difficultés. »
Tout comme David, Pavittra est déçue du manque de communication de la part de l’agence fédérale : « Tout ce que je demande, ce sont des réponses à mes questions. »