Les communautés noires au Québec recouvrent une infinité de parcours, de profils socio-économiques et migratoires fort distincts les uns des autres. Depuis l’introduction de l’esclavage en Nouvelle-France, en 1628, la présence des Noirs au Québec jalonne la construction de la province jusqu’à ses fondements.
Pourtant, cette réalité se heurte à une autre perception de l’histoire. « La population en général est convaincue que les Noirs sont les plus récents immigrants », explique l’auteure Dorothy W. Williams, dans son ouvrage Les Noirs à Montréal.Une méconnaissance qu’elle explique par une « volonté délibérée et systématique de masquer la présence des Noirs dans ce pays ».
Petite-Bourgogne et ségrégation territoriale
Le quartier de la Petite-Bourgogne à Montréal est illustratif d’un des pans de cette histoire. C’est ici que des communautés noires anglophones s’établissent, dès 1897, attirées par les emplois qu’offre alors l’industrie ferroviaire. Situé à proximité des lignes de chemins de fers qui relient Montréal à New York, Toronto ou Chicago, le quartier surnommé « West-End » propose des loyers relativement abordables pour cette nouvelle main-d’œuvre. Les habitants, venus des États-Unis, des Maritimes, d’Ontario et des Antilles, occupent essentiellement des postes de porteurs à bord des trains, un des seuls emplois accessibles pour les Noirs.
Dans les années vingt, le quartier regroupe 90 % des résidents afrodescendants de Montréal. Fortement discriminés, ils mettent sur pied de nombreuses organisations à vocation sociale. Le Colored Women’s Club, premier club féminin au Canada, est créé en 1902, suivi en 1907 par l’établissement de l’Union United Church, la première église noire à Montréal, fondée en réaction à l’animosité exprimée par les fidèles des églises blanches.
Le quartier devient aussi le berceau de la musique jazz au Canada. « Dans les années vingt, trente, raconte Michael Farkas, directeur de la Maison des jeunes de la Petite-Bourgogne, Montréal c’est le Paris de l’Amérique du Nord. Les gens viennent pour avoir du fun la nuit. Beaucoup de clubs jouxtent le quartier et pendant la prohibition, de nombreux musiciens viennent jouer ici ».
Fragilisé par la grande dépression, le quartier voit nombre de ses habitants perdre leurs emplois : en 1933, 80 % des membres de la paroisse sont au chômage. Les Afro-Américains retournent aux États-Unis. Puis, dans les années soixante, les autorités municipales engagent la construction de l’autoroute Ville-Marie, qui empiète sur « West-End ». Un programme de rénovation est également mis en place, qui marquera de nombreuses évictions des habitants. Ces derniers quittent pour la plupart le secteur, désormais baptisé « Petite-Bourgogne ». À propos de ces plans d’aménagements urbains, Steven High, professeur d’histoire à l’université de Concordia, écrira dans Le Devoir que « dans leur ensemble, ces projets ont des répercussions considérables sur les Noirs montréalais. Ce n’est pas une coïncidence. En effet, la restructuration radicale des villes nord-américaines touche de façon disproportionnée les minorités raciales et les communautés blanches démunies ».
Les années soixante marquent aussi la levée d’une loi discriminatoire, en 1967, qui restreignait l’immigration des Noirs, instaurée en 1910 au prétexte d’une inadaptation au climat du pays. La fin de telles pratiques annonce l’arrivée progressive de nouvelles vagues migratoires, venues notamment d’Afrique subsaharienne. Un demi-siècle plus tard, entre 2006 et 2016, 13 % des immigrants admis au Québec sont originaires du sous-continent africain.
Des industries qui courtisent les immigrants
Aujourd’hui, de nombreuses industries implantées en région présentent un fort besoin de main-d’œuvre. C’est notamment le cas en Abitibi-Témiscamingue, à Val-d’Or, où les mines aurifères attirent de plus en plus de nouveaux arrivants. D’une cinquantaine de migrants en 2009, les communautés africaines y comptent aujourd’hui près de 500 personnes, venues du Sénégal, de Mauritanie, du Mali, de Côte d’Ivoire et du Cameroun. « La plupart sont venus ici avec un diplôme, et ont ensuite fait des études complémentaires », précise Habib Sylla. Originaire de Mauritanie et installé à Val-d’Or depuis 2009, « Habib-tibi », comme le surnomme le maire de la ville, est devenu une des figures de l’engagement associatif auprès des nouveaux arrivants. C’est, selon lui, la facilité de l’accès à l’emploi qui explique cette forte augmentation. Il est vrai que les industries locales cherchent de plus en plus à attirer de futurs employés pour des postes de mineurs, de chimistes, d’ingénieurs notamment. Des opérations séduction sont organisées jusque dans les universités : « Le Carrefour Jeunesse-Emploi organise des séjours exploratoires. Ils vont voir des étudiants finissants à Montréal, Québec, Ottawa, et leur font visiter des entreprises à Val-d’Or ».
Nommé au Prix de la relève, qui récompense les citoyens bénévoles de l’année, Habib est l’un des membres fondateurs du Comité afroculturel de Val-d’Or. Initialement mis en place pour s’adresser aux communautés africaines, le comité a décidé d’ouvrir ses activités à un large public l’année dernière, pour favoriser les rencontres entre nouveaux citoyens et habitants « de souche ». L’association organise des repas collectifs, et intervient comme support auprès des nouveaux arrivants, pour leur recherche de logement notamment. « Avant, beaucoup d’habitants évitaient de venir vers nous, par peur de gêner l’autre. Mais avec ces activités, on a remarqué qu’il y a beaucoup d’échanges qui se font. Les communautés africaines que je connais à Montréal, elles vivent entre eux. À Val-d’Or, on n’a pas vraiment ce problème-là. »
Cinquante après l’abrogation d’une loi d’immigration ségrégationniste, l’installation de communautés de migrants à Val-d’Or illustre bien le grand écart qui s’est joué dans un pays où, désormais, les immigrés sont courtisés en région.