Que ressent-on lorsque l’on quitte tout pour recommencer ailleurs ? Présentée jusqu’au 4 septembre 2022 à l’Écomusée du Fier Monde, l’exposition « Chercher le printemps — parcours croisés de femmes immigrantes dans le Centre-Sud » montre l’humaine derrière la migration. 21 femmes se racontent, à travers leur arrivée, leur intégration, leurs doutes et leurs défis.
Mettre des visages sur l’immigration, les chiffres, les articles désincarnés et les discours politiques. C’est la volonté de Laurence Dompierre-Major, documentariste et photographe derrière l’exposition « Chercher le printemps — parcours croisés de femmes immigrantes dans le Centre-Sud », visible jusqu’au 4 septembre 2022 à l’Écomusée du Fier Monde.
Elle y expose une série de 21 portraits d’héroïnes et de leur histoire. 21 femmes qui, comme tant d’autres, sont venues chercher le printemps au Canada jusque dans le quartier montréalais Centre-Sud. Elles ont toutes fini par le trouver, d’une manière ou d’une autre, à leur manière surtout.
« Chaque parcours est unique. C’est un long processus de se sentir bien dans ses baskets, même quand l’immigration est choisie », explique la documentariste. Pour elle, le plus important était que ces femmes aient la place de raconter leur parcours, leurs doutes, leurs accomplissements. Elles ont donc fait partie intégrante du processus d’écriture. « Je voulais qu’elles soient en accord, y compris pour les photos, même si c’est plus difficile », rit-elle.
Toutes les entrevues ont eu lieu entre décembre 2021 et avril 2022. Ce projet est réalisé par le Carrefour de ressources en interculturel (CRIC) dans le cadre du projet Raconte-moi Centre-Sud du Mouvement Courtepointe. Il devait faire parler les personnes immigrantes du quartier. Résultat, ce sont uniquement des femmes qui se sont portées volontaires. « On a donc décidé de se concentrer sur les femmes, qui ont en plus un rôle important dans les familles et les communautés », explique Mme Dompierre-Major.
Un rôle important
L’instabilité et le flou de la migration. L’impression d’être dans un brouillard, sans repères. Autant de sensations largement partagées par les femmes qui se racontent dans l’exposition et le livre du même nom. Les structures communautaires du quartier ont tout changé pour elles. Ce soutien et l’implication bénévole leur ont permis de développer un sentiment d’appartenance, une légitimité.
« J’ai habité pendant 5 ans dans le quartier Saint-Laurent, très arabophone. Mais, en 2011, j’ai décidé d’immigrer dans le Centre-Sud », explique Samar Almsiati, ingénieure arrivée en 2006 avec sa petite famille. Immigrer, c’est ainsi qu’elle a vécu son déménagement, comme une deuxième vie au Québec. Installée aux abords d’un parc, elle raconte s’être liée avec ses voisins québécois.
Avec ce nouveau départ, elle décide de s’impliquer avec le CRIC pour accompagner les familles arabophones et surtout syriennes, fuyant la guerre. « J’ai commencé à m’intégrer, cela m’a donné de la confiance en moi et maintenant, je connais bien le droit, les aspects administratifs de l’immigration », partage celle qui a dû, elle aussi, tout recommencer, de l’apprentissage du français à l’obtention de diplômes pour finir par appartenir à l’Ordre des ingénieurs du Québec.
Un peu de soi ici
Les mettre en avant, valider leurs parcours, valider leur présence ici. C’est ce que l’exposition a accompli pour elles. Partager son histoire a permis à Sophie Kahuongo Mulanga, 72 ans et originaire de République démocratique du Congo, de changer un parcours « honteux » en un combat fier et courageux. « C’est une joie d’avoir réussi à venir ici et je suis heureuse d’avoir laissé un peu de moi ici », raconte-t-elle en pointant du doigt son portrait accroché au mur du musée.
Après qu’elle et sa famille ont reçu des menaces de mort et que sa maison a été pillée, elle décide de ne pas retourner dans son pays. En 2018, elle est aux États-Unis pour son travail et décide d’entrer au Canada par le chemin Roxham. « Je n’étais pas préparée, je ne savais même pas où aller », partage Sophie. Désemparée, angoissée, elle s’imaginait mourir dans la forêt. Grâce à un chauffeur somalien, elle parvient à entrer et à demander l’asile.
Parler de son histoire « honteuse » a été pour elle une grande libération. « Maintenant je suis épanouie, grâce au CRIC et à ce projet », partage-t-elle dans un sourire. Plus que de se raconter et d’aider à comprendre le parcours de ces femmes, l’exposition et le livre ont pu redonner de la dignité à ces héroïnes que l’on connaît trop peu.
Le livre Chercher le printemps – Parcours croisés de femmes immigrantes dans le Centre-Sud est disponible à l’Écomusée du fier monde et à la Livrerie, au 1376 rue Ontario Est, à Montréal.
L’exposition est accessible jusqu’au 4 septembre 2022 à l’Écomusée du Fier Monde, et sera également présentée à Maison de la culture Janine-Sutto, du 10 septembre 2022 au 23 octobre 2022.
Photo : De gauche à droite, Sophie Kahuongo Mulanga, Laurence Dompierre-Major, Samar Almsiati et Rafif Kobeissi