Au Québec comme ailleurs dans le monde, l’immigration aussi pâtit de la pandémie. Les risques sanitaires et leur impact sur l’ensemble du système politique et réglementaire ont et auront des conséquences sur le projet d’immigration au Québec de nombreux travailleurs et étudiants étrangers.
Le contexte migratoire actuel a subi de plein fouet les effets de la pandémie. Le phénomène est mondial, et le Canada comme le Québec n’ont pas été épargnés. Des mesures sanitaires de protection de la population et de distanciation ont été prises et déployées à l’ensemble du territoire, des entreprises et des services, dans le but de limiter la propagation du virus. Des mesures nécessaires et l’application stricte du principe de précaution qui auront eu de multiples effets collatéraux.
Si aucune des ces mesures ou effets de la crise ne sont délibérément et spécifiquement dirigées aux personnes immigrantes, il n’en demeure pas moins que certaines ont eu des conséquences importantes sur leur projet d’installation au Québec. Parmi ces mesures, citons notamment :
- la fermeture des frontières, la réduction drastique des vols internationaux et l’encadrement strict de l’entrée sur le territoire, qui a empêché un certain nombre de personnes à venir au Canada,
- la généralisation du travail à distance, y compris au sein des services gouvernementaux, qui ont fortement perturbé le traitement des demandes d’immigration temporaire et permanente
- la crise économique qui a accompagné la crise sanitaire, et qui a mis en grande difficulté de nombreux résidents temporaires.
On peut souhaiter que la situation, de même que l’ensemble des mesures politiques exceptionnelles qui ont été prises par Ottawa autant que Québec, ne seront pour la plupart que temporaires. Mais, d’ores et déjà, nous pouvons nous poser la question de savoir quelles sont leurs conséquences sur l’immigration au Québec.
L’éducation en question
La fermeture des frontières, les risques sanitaires liés au voyage et la décision des universités d’offrir une majorité de cours en ligne à la rentrée risquent de considérablement baisser le nombre d’étudiants étrangers au Québec. Et le secteur de l’éducation en souffre déjà.
« Les universités et cégeps fonctionnent principalement grâce aux étudiants étrangers. Dans certaines régions, des programmes universitaires vont tomber », s’alarme Carolle Simard, chercheuse à l’UQAM, en référence à l’impact positif considérable des étudiants étrangers, dont les frais d’admission sont plus élevés que ceux des Québécois.
À l’Université Laval, les étudiants étrangers représentent 14 % du nombre total d’admis chaque année. Depuis le début de la crise, 752 membres du personnel ont déjà été écartés, même si la plupart étaient à forfait, rapportait La Presse le 11 mai dernier.
Par ailleurs, la réduction (naturelle ou provoquée) de l’immigration risque aussi d’entraîner une diminution des besoins en francisation.
Immigration repoussée
Hormis les étudiants, les travailleurs étrangers temporaires risquent eux aussi de venir en moins grand nombre. Les incertitudes poussent également de nombreux candidats à retarder leur immigration temporaire, voire leurs projets d’installation à long terme. Cependant, nombreux sont ceux chez qui la déception n’a pas éteint la détermination à venir vivre au Québec.
« Notre projet a été profondément bouleversé par la pandémie. La situation est très stressante, car nous avions tout laissé en France pour le départ. Nous n’avons pu le concrétiser et l’avenir est très incertain quant à notre projet. », témoigne Audrey et Florian, jeune couple marié dont la lettre d’invitation pour leur PVT a expiré mi-avril.
Ils devaient prendre l’avion le 18 mars, deux jours après la fermeture des frontières. Leur document a été prolongé jusqu’au 14 juillet et ils espèrent pouvoir entrer au Canada d’ici là. « Nous sommes toujours motivés et déterminés, car c’est un projet de longue date », explique le couple qui a dû emménager chez leurs parents, sans emploi et sans revenus.
Estelle, quant à elle, espérait arriver avec un PVT mi-mai. Échouant à trouver une offre d’emploi à distance, la jeune femme doit de retrouver un travail dans son pays d’origine et revoir ses projets pour les 2 prochaines années. « Je me suis sentie un peu rejetée par le gouvernement canadien, qui aurait pu donner plus de temps pour activer les visas et avoir une vraie possibilité de visualiser le futur », estime-t-elle.
Insécurité et anxiété
Au-delà de ceux que la situation actuelle questionne, nombreux sont les étudiants et les travailleurs déjà installés au Québec qui sont impactés par les effets de la Covid-19.
Nous avons déjà évoqué la situation des étudiants étrangers.
Mais ce sont les travailleurs temporaires mis à pied alors qu’ils étaient en permis fermé qui ont peut-être le plus souffert. Pour maintenir un statut au Canada, il leur fallait trouver rapidement un nouvel employeur et attendre des mois l’émission de leur nouveau permis de travail par les autorités fédérales avant de pouvoir commencer dans leur nouvel emploi. Une situation intenable. Il faudra attendre le 12 mai dernier pour qu’Ottawa leur permette de démarrer le travail 10 jours ouvrables à compter de la soumission en ligne de leur demande de permis de travail. Un délai court en apparence, mais qui s’additionne à celui des démarches de l’employeur, dont l’Étude d’impact sur le marché du travail (EIMT), lorsque le travailleur étranger temporaire n’en est pas exempté.
Certains ont ainsi vu leur contrat se terminer et leur permis expirer. « Cette situation crée de l’insécurité, de l’anxiété [pour les immigrants temporaires], et un traitement à la pièce », déplore Andrés Fontecilla, député de Laurier-Dorion pour Québec Solidaire et porte-parole en matière d’immigration.
« Nous vivons sur nos économies et nous ne pourrons plus continuer très longtemps. Nos visas s’écoulent et nous perdons des semaines pour demander la résidence permanente. En plus, nous n’avons pas trouvé de garderie pour nos deux enfants, donc je ne peux pas travailler », explique Marie. Son mari est arrêté depuis le début de la pandémie. Il a passé trois mois à ignorer s’il allait être rappelé ou licencié : son employeur disposait de 6 mois pour le recontacter (le 2 juin 2020, son employeur a finalement accepté de réembaucher son mari — NDLR).
Administration ralentie
Aux origines de ces situations précaires, sont souvent pointés les délais de traitement des dossiers d’immigration, qui ne cessent d’augmenter, au point que les autorités ont cessé de communiquer à leur sujet. Car les systèmes d’immigration canadien et québécois souffrent à la fois d’un ralentissement des services dû au confinement, mais aussi à l’explosion du nombre de demandes de renouvellement de permis dues aux mises à pied.
« Le MIFI ne pouvait plus émettre le document physique à cause des mesures de télétravail », raconte Andrés Fontecilla, qui a reçu beaucoup de demandes de la part des personnes immigrantes de sa circonscription. On imagine sans peine que la situation devait être comparable au fédéral, qui doit traiter des dossiers de demandes de résidence permanente reçues au format papier.
« Nous essayons d’éviter que les personnes frappées par ces délais anormalement longs tombent dans l’illégalité. Pour l’instant, les gouvernements ont eu une belle ouverture pour gérer les cas particuliers », estime pour sa part Monsef Derraji, député de Nelligan pour le Parti libéral du Québec et porte-parole en matière d’immigration.
Si, pour endiguer la situation, Ottawa et Québec ont fait preuve de souplesse, les gouvernements demeurent inflexibles sur certains points, comme la prolongation des permis de travail.
Pénurie de main-d’œuvre ?
En dépit de la hausse du chômage, les besoins en main-d’œuvre temporaire étrangère restent importants dans certains secteurs, au point que la situation commencent à inquiéter les employeurs.
« La plus grosse inquiétude vient du secteur agricole qui a pris du retard avec l’inactivité. Beaucoup de travailleurs étrangers ont peur de venir », explique Benoit Malric, directeur Programme Immigration à la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ). Malgré l’ouverture des frontières aux travailleurs agricoles venant de l’étranger, le secteur souffre encore.
« La crise de la Covid-19 révèle nos besoins [de main-d’œuvre étrangère] en santé, notamment en CHSLD. Au vu de la situation, les seuils d’immigration ne baisseront que de manière temporaire », estime Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec.
Pour lui, ces besoins se multiplieront d’ici deux ou trois ans, notamment dans certains secteurs comme les TI, le génie ou la santé. « Le vieillissement de la population ne s’arrête pas avec la Covid-19. Si on baisse le nombre de personnes immigrantes admises, le retard s’accentuera dans les prochaines années et on manquera de nouveau de main-d’œuvre », explique-t-il. Et il en ira de même si moins d’étudiants et de travailleurs étrangers décident non pas simplement de reporter leur arrivée au Québec, mais de l’annuler purement et simplement, faute de visibilité et de garanties sur leur avenir.
Travailleurs essentiels
La crise sanitaire a également permis de révéler la part importante de personnes issues de l’immigration dans certains secteurs. À la lumière de cette nouvelle visibilité des travailleurs étrangers, la pandémie nous révèle des exemples très concrets de l’apport de l’immigration à la société québécoise.
Partout dans le monde, les sociétés réalisent que ces emplois peu valorisés et peu qualifiés sont importants : les préposés aux bénéficiaires, les femmes et hommes d’entretien, les caissiers, les travailleurs agricoles, etc. Partout, on ne parle plus de travailleurs peu ou pas qualifiés, mais de travailleurs essentiels. Des postes qui sont fortement occupés par des personnes issues de l’immigration. « Les personnes immigrantes, peu importe leur statut, permettent de passer à travers la crise [sanitaire] », déclare ainsi Andrés Fontecilla.
Repli sur soi et ouverture
« Deux tiers des personnes immigrantes viennent pour des raisons économiques, ce qui construit une image positive de l’immigration », explique Gilles Grenier, économiste travaillant sur le travail et l’immigration à l’Université d’Ottawa.
Mais cette vision économique de l’immigration est mise à mal quand le chômage explose. « Le Québec va-t-il être capable de réfléchir à l’immigration comme un projet pour “faire société ?” », se demande Catherine Xhardez, chercheuse postdoctorante à l’Université Concordia. Cela implique de sensibiliser à l’ouverture de l’immigration autrement que par l’économie.
La question du repli sur soi se pose partout dans le monde pour sortir de la crise et protéger ses citoyens. Pour tous les spécialistes interrogés, le Québec restera un pays d’accueil. « Il y a toujours deux côtés de l’histoire. On peut témoigner d’un certain repli sur soi ou se focaliser sur les signes d’ouverture. Du positif ressort dans les discours, mais pas encore dans les politiques », analyse Catherine Xhardez. Car, même si le déconfinement se généralise, avec plus ou moins de succès, l’heure du relâchement n’est pas encore venue. Il faudra faire preuve de patience et de résilience, comme partout ailleurs, pour se reconstruire, et la crise n’aura pas manqué de rebattre certaines cartes dans la gestion de l’immigration. Mais le Québec, comme le Canada, ne savent que trop bien l’importance de l’immigration dans leur projet de société.