La rentrée universitaire d’automne a été marquée par une baisse du nombre d’étudiants étrangers. Ceux qui ont réussi à s’inscrire ont dû s’adapter, certains déjà présents sur le territoire, d’autres forcés de suivre leur cursus à distance, avec de fortes contraintes technologiques et organisationnelles, liées au décalage horaire. Une nouvelle réalité qui influence l’intégration et la réussite, mais qui tend tranquillement à s’améliorer.
« Ce sont les grands oubliés de la pandémie », regrette Olivier Bégin-Caouette, professeur en enseignement supérieur comparé. Les étudiants étrangers doivent concilier expérience internationale et crise sanitaire. Qu’ils soient au Canada ou dans leur pays d’origine, ils n’ont eu d’autres choix que de s’adapter, de repenser – voire d’abandonner leur projet d’immigration.
Nombreux sont ceux qui n’ont pas réussi à venir. Le nombre d’étudiants étrangers dans les universités québécoises a baissé de 8,6 % par rapport à l’automne 2019, selon les chiffres du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI). Un chiffre qui cache les disparités entre les établissements universitaires, souvent très durement touchés en région. On parle d’une baisse de 40 % d’étudiants étrangers à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), de 36 % à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) ou encore de 28 % à l’Université de Sherbrooke. Les nouveaux étudiants commençant leur première session sur le territoire sont rares.
Pour entrer sur le territoire, un étudiant possédant un permis d’études valide devait en effet, jusqu’à peu, prouver le caractère essentiel de sa présence au Québec. Le seul fait de devoir suivre les cours ne suffisait pas, puisqu’ils se donnent en ligne. « Il fallait avoir un justificatif de domicile ou une preuve d’emploi », explique Axelle, étudiante au baccalauréat en administration à l’Université Laval très impliquée dans la vie étudiante et associative. Depuis le 20 octobre 2020, des aménagements aux restrictions de voyage sont entrés en vigueur pour permettre aux étudiants étrangers, sous conditions, d’entrer sur le territoire. A minima, ils doivent être titulaires d’un permis d’études valide (ou d’une lettre d’introduction), et être inscrits dans un établissement d’enseignement désigné (2020) ayant « un plan d’intervention immédiate en réponse à la Covid‑19 approuvé ». Plus d’informations sur le site d’IRCC.
Un soutien accru
Quant à ceux qui peuvent vivre au Québec, ils doivent faire face aux défis de la crise sanitaire : distanciation sociale, cours en ligne et activités réduites. Et c’est sans compter les enjeux financiers : augmentation des frais d’inscriptions, non-admissibilité à la PCU pour étudiants, chômage, etc. Des conditions d’études et d’intégration qui sont loin d’être optimales pour un nouvel arrivant.
Pour pallier cela, l’aide et l’accompagnement des étudiants étrangers ont été accentués. Certains établissements de région ont fourni un accueil dès l’aéroport, la plupart ont adapté les activités de découverte et d’introduction au virtuel. L’UQAC a par exemple organisé des webinaires pour répondre aux craintes et aux interrogations des étudiants à distance ou des futurs inscrits, mais aussi des cafés virtuels, afin qu’ils se rencontrent et partagent leurs expériences.
Axelle vit à Québec depuis août 2018. Elle étudie au baccalauréat en administration à l’Université Laval. Elle a constaté que l’UL, et particulièrement sa faculté, a fait beaucoup d’efforts pour les étudiants étrangers depuis le début de la pandémie (aide aux impôts, activités virtuelles comme des bingos ou des jeux d’évasion).
Sans oublier la traditionnelle intégration au début de la session, dont les activités ont notamment eu lieu en ligne. « Tout cela a eu pour effet de créer un lien d’amitié plus fort. C’est drôle, car on a plus de temps pour parler et apprendre à se connaître que dans les partys organisés en temps normal », raconte-t-elle avec enthousiasme. D’autant plus que le campus restait tout de même accessible, avant que Québec passe en zone rouge. « On avait le droit d’aller au pub universitaire, d’utiliser les locaux pour les associations », raconte Axelle.
Moins de contacts sociaux
Autant de mesures qui ont été mises en place pour maintenir les étudiants étrangers, mais aussi pour garantir leur réussite. Mais sont-elles suffisantes ? Pour Axelle, si l’organisation des cours était bonne, il en est allé différemment des examens. « À l’approche des remises, on posait des questions sur les forums et certains professeurs nous ont renvoyés sur nos PowerPoints ou vers une recherche Google », nous a-t-elle écrit (depuis la publication de l’article, ndlr). Depuis le 1er octobre et les restrictions liées au passage en zone rouge de Montréal et Québec, les contacts sociaux et l’accès aux infrastructures sont de nouveau limités. « Ce n’est pas facile pour ceux qui sont arrivés pendant la Covid. Oui, il y a des activités, mais ce n’est pas forcément comme ça qu’on se fait des amis », regrette Axelle.
De même avec les cours en ligne. Le virtuel retire tout contact avec les professeurs et les autres élèves, et réduit l’offre des activités de campus. Autant de facteurs de bien-être qui peuvent encourager le décrochage scolaire. L’expérience internationale d’un nouvel étudiant risque d’être altérée par la crise sanitaire, l’aspect culturel et social étant une part importante du bien-être et de l’intégration.
Décalage horaire
La numérisation entraîne aussi des problématiques d’égalité d’accès à l’information et d’égalité des chances. « S’il faut assister à une conférence sur Zoom ou réaliser un examen en ligne et qu’il y a un bug, c’est tant pis pour l’étudiant », raconte Olivier Bégin-Caouette. Un enjeu qui concerne aussi bien les étudiants sur le territoire que ceux qui n’ont pu venir.
Pour ces derniers, étudier à distance s’accompagne d’un décalage horaire qui risque d’en décourager plus d’un à suivre des cours en direct. Pour le chercheur, c’est l’une des avenues primordiales à développer : « on doit être capables de proposer une offre bimodale : que l’on peut suivre en live et en différé ».
« Nous avons ciblé l’offre de formations où la présence d’étrangers est notable, comme l’ingénierie ou l’administration. Pour ces programmes, les heures des cours sont aménagées en fonction du décalage horaire avec l’Europe, car la majorité de nos étudiants étrangers sont là-bas », explique Alexandre Cloutier, vice-recteur aux partenariats, aux affaires internationales et autochtones de l’UQAC.
« Les cours sont très bien organisés. Deux de mes cours sont asynchrones et je peux les écouter quand je veux. Le dernier est synchrone, mais jusqu’à 22 heures ou minuit sur mon fuseau horaire. Ce n’est pas l’idéal, mais ça va ! », confirme Clémence, étudiante à l’université saguenéenne. Ce n’est pas le cas de tous les étudiants étrangers. Nombreux sont ceux qui doivent suivre des cours synchrones jusqu’à trois heures du matin.
S’intégrer depuis l’étranger
Clémence devait passer un an au Québec dans le cadre d’une entente avec son école pour obtenir un baccalauréat. Elle devait partir en septembre 2020 et espère que les cours se donneront en présentiel pour pouvoir venir en janvier 2021.
Malgré tout, elle confesse avoir de la difficulté à suivre. « Ils postent beaucoup de contenus sur Instagram et Facebook, mais je ne regarde pas et je ne me mets pas dedans », explique-t-elle. Le seul aspect culturel qu’elle perçoit est le rapport à l’enseignement et l’attitude ouverte des professeurs.
Il en va de même au niveau intégration et vie sociale. « J’ai eu un seul travail d’équipe : nous sommes tous Français, et 3 sont de mon école. On n’est pas très intégrés avec les autres. Pendant les cours, on ne retrouve pas la même ambiance, et encore moins quand les caméras ne sont pas allumées. Il n’y a pas beaucoup de partage », regrette-t-elle. La distance ferme la porte aux discussions informelles, aux rencontres de groupe plus conviviales. Les cours en ligne n’encouragent pas à s’impliquer davantage.
Rentrée déplacée
Clémence aurait voulu vivre un peu au Québec et faire ses études là-bas. « Si je ne peux pas venir en janvier, j’annulerai mon séjour, car je voulais vraiment venir pour obtenir ce double diplôme français et québécois. Mais je serais très déçue d’avoir eu à suivre des cours à distance pour 3 000 euros », regrette-t-elle.
À défaut de pouvoir acquérir une expérience internationale au Québec, la jeune femme a opté pour l’Allemagne pour vivre une expérience internationale, malgré tout. Elle est toujours inscrite à l’UQAC et suit ses cours à distance, mais elle s’acclimate à la culture allemande et berlinoise.
Si elle s’est accommodée comme elle pouvait de sa situation, elle n’en reste pas moins déçue et inquiète pour la suite. En effet, les restrictions imposées par la Covid-19 peuvent être un grand facteur de stress pour les étudiants étrangers qui voudraient tout quitter pour vivre au Québec. Entre l’attente de son permis d’études, l’espoir de pouvoir venir bientôt et l’adaptation aux mesures des universités, certains devront peut-être annuler leur projet.
C’est le cas de Juliette, qui n’a toujours pas de permis d’études, alors qu’elle était censée commencer son échange cet automne en pharmacie à l’UQAC. « Au mois de mars, on m’a appelée pour soit reporter, soit annuler l’admission. J’avais l’option de suivre les cours en ligne, mais à quoi bon rester à Strasbourg pour ne pas suivre les cours de mon université », raconte l’étudiante qui explique annuler toute idée du Québec si elle ne peut pas venir en janvier.
* Pour respecter leur anonymat, les prénoms ont été changés