La fermeture prolongée des frontières et la généralisation des cours à distance ont eu des conséquences importantes sur la présence d’étudiants étrangers dans les établissements d’enseignements au Québec, mais aussi sur le nombre d’inscriptions. Malgré des pertes de fonds et de personnel, les établissements tentent de s’adapter, voire de tirer parti de cette épreuve pour repenser leur stratégie vis-à-vis des étudiants étrangers.
« Tout le monde croise les doigts pour que cela ne dure pas », raconte Olivier Bégin-Caouette, professeur adjoint en enseignement supérieur à l’Université de Montréal (UdeM). Avec la pandémie, les universités et les Cégeps québécois ont pâti de la transition numérique à marche forcée, mais aussi de l’absence des étudiants étrangers. De fait, aucun de ceux ayant reçu son permis d’études après le 18 mars ne peut entrer sur le territoire.
Une situation qui a déjà des conséquences lourdes sur les budgets des établissements d’enseignement supérieur. « À l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), en temps normal, 25 % des étudiants viennent de l’étranger. Actuellement, sur 1500 étudiants [annuels], 1000 sont inscrits cette session », explique Alexandre Cloutier, vice-recteur aux partenariats, aux affaires internationales et autochtones de l’UQAC. La tenue de plusieurs cours était tributaire de la présence des étudiants internationaux. « Certains cours ne pourront avoir lieu cette année, et cela a bien sûr eu des conséquences sur des chargés de cours », regrette-t-il.
Même son de cloche du côté de la prestigieuse Université McGill, dont 39 % des revenus provenaient des inscriptions étrangères en 2018-2019. L’Université Laval estime que la baisse du flux d’inscrits internationaux représente un manque à gagner de 100 millions de dollars. Une perte attribuable à la baisse des frais d’inscriptions, mais aussi à la chute des ventes de vêtements et accessoires promotionnels, aux cafés, etc.
Les cégeps n’échappent pas au phénomène. Ils risquent même d’être plus durement impactés, car, selon Olivier Bégin-Caouette, ils sont encore réglementés par le gouvernement. « On estime une baisse de 23 % d’inscriptions dans les 48 cégeps du Québec. Le plus gros coût est l’absence d’étudiants étrangers. Plus ils sont nombreux, plus le ministère nous finance, plus on a d’équipements », déclare Francis Brown, directeur des affaires internationales de la Fédération des Cégeps.
Obligés de refuser des étudiants étrangers
La nouvelle réalité de cours virtuels a imposé aux établissements de refuser des étudiants. Pour éviter le décrochage scolaire des étudiants étrangers, l’UQAC a décidé de refuser tous les échanges universitaires d’une session.
Une tendance suivie dans les cégeps où une grande partie des cours demandent de la pratique et une présence sur place. « On a eu tendance à reporter les admissions des étudiants étrangers qui devaient commencer leur formation cette année », détaille Francis Brown en précisant qu’ils gardaient tout de même un lien très fort avec eux pour qu’ils reviennent.
Tous ont redoublé d’efforts pour aller chercher leurs étudiants à l’aéroport, les intégrer et les soutenir durant leur session. L’UQAC a par exemple adapté les heures de cours des programmes majoritairement suivis par des étrangers en fonction de leur décalage horaire.
Gagner en attractivité
Face à ces nouveaux défis, les universités et les cégeps du Québec doivent lutter pour garder leurs étudiants et éviter une perte d’attractivité après un retour à la normale. « Rien ne dit que les étudiants reviendront après la crise », estime Olivier Bégin-Caouette.
Avant la pandémie, l’attractivité à l’international était un enjeu crucial pour l’enseignement supérieur. En 2019, les étudiants étrangers représentaient 15 % des inscrits dans les universités, un pourcentage qui ne cessait d’augmenter ces dernières années.
Le fait que les universités reçoivent de moins en moins de subventions, et qu’elles doivent par conséquent trouver les moyens de s’autofinancer, les incite à considérer un marché plus grand. Si les établissements les plus importants jouissent déjà une certaine renommée, « les plus petits devront redoubler d’imagination, et miser sur une région accueillante, porteuse de l’image d’un milieu à taille humaine », estime Olivier Bégin-Caouette.
Des leçons à tirer de la pandémie
Ces conséquences ont permis de mettre en avant l’apport des étudiants étrangers pour les universités et les cégeps, mais aussi pour l’économie locale et dans la vitalité des collectivités. La pénurie de main-d’œuvre n’a d’ailleurs jamais cessé dans de nombreux secteurs, malgré un chômage en hausse et des étudiants étrangers déjà présents sur le territoire, qui représentent un bassin de travailleurs privilégié. De telles perspectives d’emplois risquent d’attirer d’autant plus de futurs candidats concernés par la réforme du Programme de l’expérience québécoise.
« En ce sens, il faudrait que les universités et les Cégeps, le gouvernement et le monde économique travaillent ensemble pour mettre en œuvre une promotion forte et unie », estime Francis Brown. Une idée soutenue par le chercheur Olivier Bégin-Caouette : « Il y a lieu que tous se regroupent en association pour réfléchir et agir sur les besoins technologiques et numériques, la question de l’intégration des étudiants, etc. ». S’unir pour mieux se promouvoir, mais aussi pour mieux s’armer face aux nouveaux défis d’attraction des étudiants étrangers.
Un travail collectif et une réflexion de société semblent s’imposer à terme. Parmi les questions qui pourraient être posées, on pense à l’élargissement des ententes relatives aux frais de scolarité, comme celle qui permet aux ressortissants français et belges francophones de payer des frais moins élevés que les autres étrangers. Autre enjeu, porté notamment par la Fédération des cégeps, celui de proposer un traitement accéléré des demandes de permis d’études des candidats francophones. Des pistes qui permettraient de soutenir les établissements sur le long terme, et d’inclure les étudiants étrangers dans un projet de société.