Qu’on soit des parents immigrés parlant une langue étrangère ou un couple binational multilingue, le choix de la langue à la maison peut parfois être compliqué. Comment s’adresser à son enfant pour optimiser son apprentissage, tout en entretenant son héritage linguistique ? Faut-il prioriser une éducation bilingue ou favoriser la langue du pays d’accueil ?
Après l’épineuse question du choix de la langue d’enseignement à l’école, nous nous intéressons aujourd’hui à celle de la langue employée par les parents à la maison. Devant le risque d’en perdre son latin, nous avons posé quelques questions à Barbara Abdelillah-Bauer, linguiste et psychosociologue, spécialiste de l’éducation bilingue.
Immigrant Québec (IQ) : Quand les parents ont chacun une langue différente, laquelle choisir pour s’adresser à son enfant ?
Barbara Abdelillah-Bauer (BA-B) :La chose la plus simple est de parler sa langue à son enfant, et de laisser son partenaire parler sa langue à lui. La langue fait partie d’une culture, et les choses s’expriment selon les cultures. Elle inscrit l’enfant dans l’histoire familiale et crée un lien avec les racines. Par exemple, il est plus facile de chanter des berceuses dans la langue dans laquelle on en a reçues.
Mais avant tout, il faut que le couple soit d’accord. Parfois, la langue d’un parent n’est pas comprise par le partenaire et ça peut poser problème. Il y a donc des couples qui décident de parler une seule même langue au sein de la famille.
IQ : L’enfant ne risque-t-il pas d’être perdu dans un milieu plurilingue ?
BA-B : Un jeune enfant est tout à fait capable d’apprendre les rudiments du langage dans deux langues différentes. Il acquiert un langage à deux volets, et ça se fait tout naturellement. Il va y avoir une plage d’interférences, mais ça va s’estomper tout seul. Parfois, pendant un temps, l’enfant va comprendre, mais répondre dans l’autre langue. C’est ce qu’on appelle le bilinguisme réceptif ; c’est très courant dans les familles bilingues.
En général, il y a une langue dominante chez l’enfant, qui est souvent celle de la scolarité. Chaque langue va se développer au niveau nécessaire pour communiquer. Quand l’enfant est en phase d’apprentissage, il faut juste éviter qu’une même personne passe sans cesse d’une langue à l’autre.
IQ : Dans le cas d’un couple unilingue, faut-il essayer de parler anglais ou français à l’enfant pour lui permettre d’apprendre plus vite la langue du pays d’accueil ?
BA-B : Quand on ne maîtrise pas encore bien la langue d’accueil, il faut encore plus lui parler dans sa langue maternelle. Je pense notamment au cas de certains immigrés qui veulent couper complètement avec leur pays d’origine, ou dans le cas d’un dialecte, que les gens considèrent souvent comme n’étant pas une vraie langue.
Mais pour l’enseignement de la langue du pays d’accueil, il est quand même préférable de commencer avant l’âge de 6 ans — l’âge de l’apprentissage de l’écriture.
IQ : Comment s’assurer de bien transmettre une langue à l’enfant, notamment quand on est le seul parent à la parler ?
BA-B : Pour l’enseignement de la langue d’accueil du pays, ça peut se faire par exemple via la garderie.
Quand on est le seul à parler une langue, il peut être très difficile de la transmettre à l’enfant. On peut alors trouver des relais à l’extérieur, dans son entourage.
IQ : Quels sont les avantages du bilinguisme chez l’enfant ?
BA-B : Il y a d’abord de nombreux avantages cognitifs. L’enfant bilingue aura par exemple plus de facilités à apprendre d’autres langues par la suite. Il aura ainsi plus de flexibilité cognitive : une plus grande conscience de ce qu’est un langage et de comment fonctionne la langue.
En fait, il n’y a pas d’inconvénient au bilinguisme. Mais ça reste un choix et une histoire personnelle ; il faut parler à son enfant dans la langue dans laquelle on se sent bien. Au Québec, il y a beaucoup d’études sur le sujet. Vous êtes précurseurs dans l’enseignement bilingue !