Apprendre le français sans être en situation d’immersion, c’est possible ? Des acteurs de la francisation en amont défendent une façon de voir « efficace » et adaptée aux besoins du marché du travail québécois.
L’arrivée de Francisation Québec, en juin 2023, a bouleversé bien des choses. Nouveau point de service à guichet unique proposé par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), il vise à faciliter l’apprentissage du français pour les futurs et nouveaux arrivants.
Dans un milieu où les besoins sont en constante évolution, certaines écoles prennent le devant pour développer une offre innovante et adaptée aux besoins de la clientèle autant que des employeurs québécois.
Parmi les approches mises de l’avant : la francisation en amont, le développement de méthodes d’apprentissage spécifiques au français québécois et l’adoption d’une démarche holistique.
Une méthode adaptée
« Arriver dans un pays sans avoir commencé le processus de francisation, c’est un peu comme arriver sans aucun repère linguistique, ou même sans codes de valeurs », croit Julie Dupuis, vice-présidente et cofondatrice de Complexe X.
Le cabinet de conseil et centre de formation, en activité depuis 2017, offre des cours de francisation aux particuliers, en entreprise, et avant l’arrivée des néo-Québécois sur le territoire. D’après sa co-fondatrice, « l’intégration et la socialisation se font beaucoup mieux quand il y a déjà une base de francisation qui a été faite en amont ».
Et pas n’importe quelle « base » : devant l’absence de contenu de formation disponible en français québécois, Complexe X a développé une méthode d’apprentissage axée « sur les compétences requises au Québec, mais en ajoutant l’aspect phonétique, qui permet également d’atteindre les niveaux de compétences de français demandées pour la résidence permanente et l’immigration », explique-t-elle.
La phonétique joue, selon elle, « un rôle majeur dans les relations entre les gens, dans le processus de socialisation, dans la confiance que les personnes immigrantes vont avoir pour s’exprimer dans leur environnement de travail ou même en société ».
Financement
Jusqu’à récemment, les critères régulant le financement public restreignaient les possibilités de développer une offre de cours à suivre avant l’installation au Québec, raconte Julie Dupuis. La clientèle de Complexe X est donc encore principalement déjà insérée en entreprise — une tendance qui pourrait être amenée à changer, avec Francisation Québec et le « bouleversement des ressources » qui l’accompagne.
Fondée en 2006, École Québec a aussi développé son propre programme pédagogique en français québécois. Les résultats sont au rendez-vous depuis l’entrée en vigueur de cette méthode, en 2020, selon l’associé gérant et directeur général Serge Boire. Reste à développer le volet vidéo et les niveaux avancés, qui tardent à venir.
Outre le fait de ne pas toujours avoir les moyens à la hauteur de ses ambitions, Serge Boire se désole de ne pouvoir desservir qu’une clientèle issue de la classe moyenne et aisée.
Oeuvrant au Brésil et au Mexique, il rencontre des personnes qui souhaitent émigrer au Québec. Camionneurs, soudeurs, infirmières… La liste est longue. Mais actuellement, explique Arthur Marra, associé gérant et coordinateur pédagogique, leur clientèle se résume principalement à des gens qui ont déjà été embauchés par des entreprises québécoises, partenaires d’École Québec. Ce sont elles qui payent, en tout ou en partie, pour la francisation en amont de leurs futurs employés.
Face à cette situation, Serge Boire estime que « le gouvernement aurait tout avantage à faire ce que quelques entreprises privées font présentement avec nous », surtout pour permettre de répondre aux besoins de main-d’œuvre criants, détaille-t-il.
Angle mort
École Québec envisage, à terme, de mettre sur pied du contenu adapté aux professions en tension.
En attendant, leur méthode pédagogique est tout de même axée sur la pratique, et le contenu des cours vise à transmettre des notions sur les valeurs et l’identité québécoise. « Au lieu de leur faire apprendre le français avec la Tour Eiffel, pourquoi on ne le ferait pas avec le Mont-Royal, le Château Frontenac ou les Cowboys Fringants ? » interroge Serge Boire.
La contextualisation, le partage des référents culturels et des valeurs sont aussi centraux à la démarche en francisation de Complexe X. Une vision holistique de l’apprentissage du français langue seconde, au service de l’intégration.
Facteur clé de l’intégration, la maîtrise de la langue n’est pourtant pas toujours accessible aux conjoints et conjointes des travailleurs recrutés à l’international par les entreprises québécoises.
Selon Julie Dupuis, la francisation des conjoints et conjointes « n’est pas une demande des entreprises ». « Il y a certainement une pression sociale qui est exercée en ce sens, parce qu’on veut faire un bon accueil, on veut s’assurer que les gens soient bien pris en charge », poursuit-elle, admettant qu’« il y a encore du travail à faire du côté de la responsabilité sociale des entreprises ».
La francisation des conjoints et conjointes et leur intégration globale au sein de la société québécoise relèvent-elles de la responsabilité des entreprises, ou de celle du gouvernement ? « C’est une question de société. »
Photo : Manny Fortin