Le gouvernement du Québec a entamé une profonde réforme de son système d’immigration. Les nombreuses mesures et les annonces largement médiatisées de ces derniers mois posent une question simple : quelle est, exactement, l’étendue des prérogatives du Québec, province canadienne, en matière d’immigration ?
La province de Québec jouit d’un statut particulier par rapport aux autres provinces et territoires du Canada : elle partage avec le gouvernement fédéral certaines responsabilités dans la gouvernance et les choix stratégiques et politiques en matière d’immigration.
À travers la réforme de son système d’immigration, le gouvernement du Premier ministre québécois François Legault entend mieux choisir et intégrer les personnes immigrantes, mais aussi protéger les valeurs québécoises, à commencer par sa langue officielle, le français. C’est son particularisme historique et culturel qui a permis au Québec d’obtenir les responsabilités qu’il possède aujourd’hui dans le choix des personnes immigrantes qui désirent s’installer sur son territoire.
Le particularisme québécois
M. Legault a déclaré que « le Québec forme une nation distincte et libre de ses choix, surtout dans les domaines qui relèvent de son existence ». Ce particularisme québécois a débuté dès l’Empire britannique. Voté en 1774, l’Acte de Québec garantissait des droits à la province québécoise qu’aucune autre n’aurait pu revendiquer, comme le libre exercice de la religion catholique et du droit civil. Ce statut est maintenu à la création de la Confédération canadienne. La Constitution partage les compétences en matière d’immigration entre le fédéral et les provinces.
Dès 1960, les différents gouvernements québécois signent des accords avec Ottawa pour accroître leur participation à la sélection des immigrés. « Au nom du caractère national du Québec, les gouvernements québécois ont toujours refusé la politique fédérale du multiculturalisme déterminée par Pierre-Elliott Trudeau en 1971 », explique Micheline Labelle, professeure émérite de sociologie à l’UQAM.
La province veut notamment attirer les francophones, par crainte que le français perde sa prédominance au Québec. Ainsi, dès 1975, l’immigration ne cesse de croître et une grande partie vient des pays francophones (Haïti, France et Maghreb).
Des responsabilités partagées
L’Accord Canada-Québec de 1991 consacre les prérogatives québécoises en matière d’immigration. Il donnera lieu au cadre législatif provincial et fédéral actuel. Ainsi, le gouvernement fédéral est responsable de définir les catégories d’immigration, d’établir les volumes nationaux d’immigration et de stipuler les exigences en matière d’admissibilité, comme le décrit le rapport annuel au Parlement sur l’immigration.
Le calcul du volume d’immigrants doit prendre en compte les volontés du Québec. La province peut accueillir un nombre de personnes immigrantes proportionnel à son poids démographique au Canada, soit 23 % de l’ensemble de l’immigration canadienne, plus 5 % additionnels maximum, si elle le juge utile. Ce chiffre de 23 %, pour mémoire, représente un total de 63 000 personnes que le Québec aurait été en droit d’accueillir en 2019, soit 23 000 de plus que l’objectif de 40 000 fixé par le gouvernement provincial pour la même année.
« Si le Québec décide d’être en dessous de cette part, c’est sa responsabilité », explique Micheline Labelle. Même si elle n’est pas sûre qu’Ottawa puisse intervenir, la chercheuse pense que le Canada pourrait faire pression, sans nécessairement avoir de pouvoir de décision.
Que signifie la formule « le Québec choisit ses immigrants » ?
Souvent, on entend la formule suivante : le Québec choisit ses immigrants. Cette assertion mérite quelques explications.
Sauf exception (voir tableau), le Québec peut, en effet, sélectionner les personnes immigrantes qui désirent s’établir sur son sol. Cela inclut les personnes qui présentent une demande de statut temporaire (travailleurs et étudiants étrangers, ainsi que les visiteurs pour traitement médical), et celles qui désirent s’y installer de façon permanente.
Ainsi, une procédure d’immigration au Canada dont l’issue est l’installation temporaire ou définitive au Québec nécessite de suivre une procédure préalable spécifique auprès des autorités québécoises. Cette procédure, de même que les conditions et critères de sélection des demandeurs sont du ressort du gouvernement de la province. Sans acceptation ou sélection préalable par le Québec, la personne immigrante ne peut pas présenter sa demande au fédéral, sinon au titre de l’un des programmes d’immigration au Canada hors Québec, comme Entrée express. C’est en ce sens que le Québec « choisit ses immigrants ». Mais, malgré cette règle de principe, ce n’est pas toujours le cas.
Pour commencer, certains programmes échappent à la juridiction du gouvernement québécois. C’est notamment le cas du programme fédéral de l’Expérience internationale Canada (EIC), dont fait notamment partie le fameux permis vacances-travail. Il en va de même des catégories du regroupement familial ou encore des réfugiés, qui relèvent aussi du gouvernement fédéral. Enfin, les personnes immigrantes titulaires de la résidence permanente ont tout loisir de s’installer au Québec, aussi bien que dans n’importe quelle province canadienne.
Mais, plus important encore, si le Québec sélectionne ses immigrants, il n’a pas le pouvoir de leur conférer un statut légal. En d’autres termes, être accepté ou sélectionné par le Québec ne signifie pas qu’on a le droit de s’y installer.
Limites de responsabilité du gouvernement du Québec
« Au final, c’est le Canada qui détermine la décision d’immigration », poursuit Micheline Labelle. L’admission des personnes immigrantes est donc un processus mené conjointement, selon des prérogatives partagées entre le gouvernement du Canada et celui du Québec, mais dont la validation revient au gouvernement fédéral.
Si l’obtention de son CAQ ou de son CSQ sont des étapes nécessaires dans un projet d’immigration au Québec, ces certificats n’ont pas valeur d’un permis de séjour, d’études ou de travail. Le statut de leur titulaire doit être entériné au fédéral, selon chaque demande, pour être valide et permettre l’entrée sur le territoire.