
En quittant sa Côte d’Ivoire natale pour le Québec, il y a 13 ans, Lydie avait un rêve : devenir entrepreneure avec un impact social. Pour cela, il a fallu cumuler plusieurs vies, réinventer le rêve initial, batailler, imaginer des ponts entre ici et là-bas, pour que la vie ait enfin un parfum chocolat.
C’est une publicité qui les a incités à venir. Une de celles qui vantent la qualité de vie du Canada, l’opportunité d’un meilleur travail, « les études gratuites »… Le 15 octobre 2007, Lydie, son mari et leur fille cadette sautent le pas.
En Côte d’Ivoire, la vie de Lydie tournait autour du cacao. Elle habitait dans une région cacaoyère, travaillait dans une usine exportatrice de cacao, et a rencontré Gogbeu, son époux, grâce à la précieuse fève. Gogbeu dirigeait une coopérative de producteurs de cacao. Chacun était à un bout de la chaîne de production, et l’amour au milieu. Lorsque le prix du cacao a chuté et que la situation politique a commencé à se détériorer, ils ont songé à changer de vie. La publicité a fait le reste, manquant de vanter les joies de l’hiver qui les a accueillis.
« C’était une période où il a beaucoup neigé et honnêtement j’ai détesté. Très vite, on a eu envie de retourner chez nous. Mon mari ne voulait plus rien savoir d’ici, il voulait juste repartir », se remémore-t-elle.
Mais Lydie se souvient aussi des rêves qui l’ont fait émigrer : « l’avenir des enfants, posséder une maison, et devenir entrepreneure ».
Du rêve à la réalité
Comme beaucoup d’immigrants, Lydie et Gogbeu réalisent rapidement qu’il va falloir repartir de zéro professionnellement pour assurer avant tout le quotidien de la famille.
Lydie choisit de retourner aux études. À HEC Montréal, elle suit un programme pour adultes à temps partiel afin d’obtenir un baccalauréat en gestion. « Le fait d’avoir commencé une formation au Québec, ça m’a ouvert des portes. Mais côté salaire, j’étais toujours moins payée que quelqu’un d’ici », constate-t-elle. En parallèle, elle s’occupe des enfants, travaille à mi-temps. « C’est quand j’ai fini mon diplôme que les choses ont changé. J’ai passé les concours du gouvernement pour être fonctionnaire et j’ai rattrapé enfin tous mes sous-paiements avec un salaire équitable ».
Gogbeu, lui, passe par une formation de préposé aux bénéficiaires, assortie d’un poste. « Il a réfléchi comme un immigrant, analyse-t-elle. En Côte d’Ivoire, il était gérant d’une entreprise, là il n’arrivait pas à se trouver une bonne job, il s’est dit qu’il n’allait pas refaire le monde, a pris le poste qu’on lui offrait et a bâti son rêve d’une autre façon. »
Leur rêve, c’est une histoire de passion autour du cacao. « En arrivant ici, nous avons remarqué que les gens mangeaient beaucoup de chocolat et qu’il coûtait cher ! ». Lydie s’interroge : « Comment est-ce possible qu’une barre de chocolat soit à 10 $ CAN pour 60 grammes, voire 16 $ CAN parfois, alors que nos producteurs en Côte d’Ivoire sont payés moins de 1 $ CAN le kilo ? ». Le couple réfléchit à une solution pour venir en aide aux producteurs ivoiriens.
En 2012, ils apprennent incidemment qu’une chocolatière du cru possède une plantation de cacao en Amérique du Sud. C’est le déclic. « De mon côté, je ne voulais pas devenir propriétaire d’une plantation de cacao en Côte d’Ivoire, souligne Lydie. Je n’aurais eu aucun impact social en prenant cette voie. Mais avec cet exemple en Amérique du Sud, j’ai compris qu’on pouvait créer un pont depuis ici avec nos producteurs ivoiriens. »
Entrepreneur et immigrant, l’enjeu du réseau
C’est le début d’une nouvelle aventure ivoiro-québécoise, mais aussi d’une vie multiple. Lydie part se former une semaine dans le Michigan à la fabrication de chocolats à partir de la fève de cacao, elle fréquente aussi l’Académie du chocolat à Montréal. Chaque mois, les producteurs leur envoient leurs fèves décortiquées. Le couple commence à faire leurs propres tablettes, du chocolat noir biologique et équitable, qu’ils vendent sur les marchés de Saint-Eustache et Sainte-Anne-de-Bellevue, avec l’aide de leurs trois filles. « Tout ça cumulé à nos emplois respectifs, et sur nos fonds propres ».
Qu’il s’agisse d’une demande de financement ou d’aide pour monter un plan d’affaires, la clé, c’est le réseau. Lydie en est bien consciente, mais c’est souvent difficile de s’y retrouver. « Il y a des organismes qui peuvent nous aider, mais c’est difficile à savoir, souvent tu cognes un mur. On s’est fait fermer deux fois la porte de PME Montréal ». Pour être financé, il faut être commercialisé, le couple cherche alors des points de vente. Avec les revenus issus des marchés, ils acquièrent aussi une boutique qui comprend un atelier de production. En 2018, la marque Amango Cacao est enregistrée. « On espérait avoir prouvé la validité de notre projet, mais nous sommes toujours considérés en rodage ». Des difficultés qu’ils ne semblent pas être les seuls à partager. « Sur des plates-formes d’immigrants, je constate souvent les mêmes problématiques au niveau du financement, souligne Lydie. C’est comme s’il y avait un problème de confiance avec la communauté immigrante. »
Il arrive aussi qu’il y ait un petit coup de pouce du destin, comme cette rencontre avec Agoralliance, un incubateur pour les entrepreneurs venus d’ailleurs. « Ils nous mettent dans leur réseau pour plus de visibilité au niveau de la commercialisation de nos produits ».
D’autant que le projet de Lydie et Gogbeu prend de l’ampleur. « Bien sûr, nous souhaitons avoir des clients. Mais la finalité du projet est de pouvoir bâtir un centre de fermentation et de séchage en Côte d’Ivoire pour que les producteurs aient les moyens de faire une meilleure qualité de produit qui justifiera un coût plus élevé ».
Changement de regard
13 ans après son arrivée au Québec, Lydie est en train de réaliser son rêve. Celui de l’entrepreneure à l’impact social. Ils sont loin, les doutes des débuts, pour celle qui se considère aujourd’hui comme « une bonne ivoiro-québécoise », appréciant du Québec « la sécurité, le fait que les choses soient structurées et cette tendance à aller chercher l’équité dans tout ». Ça ne l’empêche pas d’envoyer régulièrement ses filles en Côte d’Ivoire « pour qu’elles comprennent leur culture d’origine et qu’elles puissent faire le choix éclairé de travailler ici ou là-bas ».
Depuis qu’elle est entrepreneure, Lydie découvre aussi un autre regard porté sur elle. « Ce n’est plus le monde où l’on me regarde de haut parce que je viens d’ailleurs. On s’attache désormais non pas à ce que je suis, mais à ce que j’offre. Les Québécois aiment vraiment nos produits, ils sont fidèles, postent des commentaires élogieux. Notre premier soutien aujourd’hui c’est eux ». C’est connu, le chocolat, quand il est bon, fait fondre toutes les résistances.
Crédit photo : Amango Cacao