En avril dernier, elle s’est rendue au Liban pour visiter famille et amis, donner un atelier et rencontrer des clients, car elle travaille à son compte dans les relations publiques. La veille de son départ, elle a envoyé un courriel à l’épouse du nouveau président pour se présenter et lui proposer de collaborer. Une heure après, le cabinet lui a répondu et la rencontre a eu lieu lors du voyage. « J’ai ajouté un tailleur dans ma valise et c’était ça », lance-t-elle. Voici Lamia Charlebois : une femme fougueuse, passionnée, authentique, habile avec les mots, et drôle en plus !
En 1984, en pleine guerre civile, elle a quitté le Liban pour s’installer au Canada. Elle a vécu dans quatre villes pour éventuellement revenir s’établir à Montréal en 2003 avec sa fille Layla alors âgée de 4 ans et demi. Mère monoparentale et sans famille ici, elle a dû se débrouiller seule. Mais sa fibre rassembleuse se faisait déjà sentir.
« Je refuse que quelqu’un lutte et souffre seul. Parce qu’on lutte tous et on souffre tous. Mais seuls, c’est l’enfer. Si tu as une petite communauté autour de toi, ça aide. »
Lamia Charlebois
De la carte de Montréal au groupe Facebook
Pour le meilleur et pour le pire
Sur ce groupe, les gens demandent où trouver le meilleur knefeh (une pâtisserie libanaise), un coiffeur, une dentiste, se demandent s’il vaut mieux inscrire les enfants à l’école publique ou privée, par exemple. Des histoires très fortes sont aussi partagées, comme celle d’une jeune fille de 15 ans atteinte d’une leucémie qui souhaitait voyager au Liban pour se donner le courage de revenir se battre ici. Une cagnotte a été lancée et, en trois jours, l’objectif a été atteint. « Le message du père m’a fait pleurer. Ça a justifié toute l’énergie que je mets », raconte Lamia. « Il y a des gens qui m’arrêtent dans la rue, les larmes aux yeux, et me serrent dans leurs bras. Je ne sais même pas qui ils sont. Ils me disent “Ton groupe m’a sauvé ! J’ai trouvé un travail, des amis”. Il y en a même qui me disent “Tu m’as réconcilié avec le Liban”, ce qui est énorme », poursuit-elle.
L’entraide sur le groupe est palpable et les membres sont proactifs pour des questions du quotidien, mais aussi dans les moments de crise. Dans les dernières années, au Liban, il y a eu la révolution, la crise financière, l’explosion au port de Beyrouth et la guerre avec Israël. Si le groupe avait un électrocardiogramme, dit Lamia, les mouvements du tracé seraient très intenses. Les discours peuvent s’enflammer, et la colère, la tristesse, les cris du cœur ainsi que le sentiment d’être inutile se chevauchent.
« La délicatesse, c’est d’y aller en neutralité, sans polariser, en restant loin de la politique. Mais c’est sûr que dans les moments difficiles, le groupe est hyperactif. C’est là où je dois modérer le plus ».
Lamia Charlebois
Dans ces contextes, l’heure quotidienne que Lamia consacre au groupe se transforme en deux. Mais toujours en pyjama.
« C’est clair que ce sentiment de communauté et de famille — car beaucoup de gens sont sans famille ici, dont moi — est très réconfortant, in good times and bad times ».
Une relation passionnelle
« Je suis folle amoureuse du Liban et j’aime le Québec et le Canada. C’est irrationnel, c’est comme un amant qui te fait pleurer lundi, te rend folle d’amour mardi, mercredi tu veux le jeter à la poubelle, jeudi tu veux l’épouser ».
Lamia Charlebois Tweet
Ici, dans sa relation plus stable avec le Québec, elle n’a pas le temps de s’ennuyer. Elle gère son entreprise et organise des ateliers en plus de continuer à animer le groupe Facebook bénévolement et à organiser des événements avec les membres. Mais quand elle retourne au pays, l’odeur du jasmin, de l’encens, les humains — même le chauffeur de taxi — lui font un grand bien. « Quand l’avion arrive au-dessus de Beyrouth, je pleure. Quand je quitte, je pleure. Mais quand j’arrive ici, je suis très bien. J’aime ma vie ici. C’est un travail personnel que tous les immigrants doivent faire », dit-elle.
« Au départ, il faut comprendre pourquoi on quitte. Avant d’être immigrant, tu es un émigré ».
Lamia Charlebois
Photo : Gaëlle Vuillaume









