Visages du Québec : Lamia, entre le cèdre et l’érable

Grande amoureuse du Liban, Lamia Charlebois entretient sa flamme en visitant souvent son pays d’origine, mais aussi en rassemblant la diaspora grâce au groupe Facebook Libanais de Montréal — Sirop d’arabe. Depuis 2011, elle y déploie son authenticité et son énergie, et elle n’en déroge pas.

En avril dernier, elle s’est rendue au Liban pour visiter famille et amis, donner un atelier et rencontrer des clients, car elle travaille à son compte dans les relations publiques. La veille de son départ, elle a envoyé un courriel à l’épouse du nouveau président pour se présenter et lui proposer de collaborer. Une heure après, le cabinet lui a répondu et la rencontre a eu lieu lors du voyage. « J’ai ajouté un tailleur dans ma valise et c’était ça », lance-t-elle. Voici Lamia Charlebois : une femme fougueuse, passionnée, authentique, habile avec les mots, et drôle en plus !

En 1984, en pleine guerre civile, elle a quitté le Liban pour s’installer au Canada. Elle a vécu dans quatre villes pour éventuellement revenir s’établir à Montréal en 2003 avec sa fille Layla alors âgée de 4 ans et demi. Mère monoparentale et sans famille ici, elle a dû se débrouiller seule. Mais sa fibre rassembleuse se faisait déjà sentir.

Elle a commencé à organiser des rencontres avec d’autres mamans, qui sont devenus des rituels hebdomadaires. Deux mamans, quatre, puis douze. Quelqu’un lui a demandé il y a longtemps pour quelle raison elle faisait tout ça.

« Je refuse que quelqu’un lutte et souffre seul. Parce qu’on lutte tous et on souffre tous. Mais seuls, c’est l’enfer. Si tu as une petite communauté autour de toi, ça aide. »

De la carte de Montréal au groupe Facebook

On se passait le mot sur sa volonté d’aider les nouveaux arrivants : les gens l’appelaient sur son lieu de travail pour lui demander des conseils. Elle leur donnait rendez-vous, apportait sa carte de Montréal et les aidait à s’y retrouver en entourant les lieux d’un coup de crayon. En 2011, elle a démarré le groupe Facebook, qui compte aujourd’hui près de 14 000 membres. « Je me suis dit enfin, je peux tout gérer en étant en pyjama chez moi ! »

Pour le meilleur et pour le pire

Sur ce groupe, les gens demandent où trouver le meilleur knefeh (une pâtisserie libanaise), un coiffeur, une dentiste, se demandent s’il vaut mieux inscrire les enfants à l’école publique ou privée, par exemple. Des histoires très fortes sont aussi partagées, comme celle d’une jeune fille de 15 ans atteinte d’une leucémie qui souhaitait voyager au Liban pour se donner le courage de revenir se battre ici. Une cagnotte a été lancée et, en trois jours, l’objectif a été atteint. « Le message du père m’a fait pleurer. Ça a justifié toute l’énergie que je mets », raconte Lamia. « Il y a des gens qui m’arrêtent dans la rue, les larmes aux yeux, et me serrent dans leurs bras. Je ne sais même pas qui ils sont. Ils me disent Ton groupe m’a sauvé ! J’ai trouvé un travail, des amis”. Il y en a même qui me disent Tu m’as réconcilié avec le Liban”, ce qui est énorme », poursuit-elle.

L’entraide sur le groupe est palpable et les membres sont proactifs pour des questions du quotidien, mais aussi dans les moments de crise. Dans les dernières années, au Liban, il y a eu la révolution, la crise financière, l’explosion au port de Beyrouth et la guerre avec Israël. Si le groupe avait un électrocardiogramme, dit Lamia, les mouvements du tracé seraient très intenses. Les discours peuvent s’enflammer, et la colère, la tristesse, les cris du cœur ainsi que le sentiment d’être inutile se chevauchent.

« La délicatesse, c’est d’y aller en neutralité, sans polariser, en restant loin de la politique. Mais c’est sûr que dans les moments difficiles, le groupe est hyperactif. C’est là où je dois modérer le plus ».

Dans ces contextes, l’heure quotidienne que Lamia consacre au groupe se transforme en deux. Mais toujours en pyjama.

« C’est clair que ce sentiment de communauté et de famille — car beaucoup de gens sont sans famille ici, dont moi — est très réconfortant, in good times and bad times ».

Une relation passionnelle

Lamia, qui se définit comme bicitoyenne, partage sa vie entre le Canada et le Liban.

« Je suis folle amoureuse du Liban et j’aime le Québec et le Canada. C’est irrationnel, c’est comme un amant qui te fait pleurer lundi, te rend folle d’amour mardi, mercredi tu veux le jeter à la poubelle, jeudi tu veux l’épouser ».

Ici, dans sa relation plus stable avec le Québec, elle n’a pas le temps de s’ennuyer. Elle gère son entreprise et organise des ateliers en plus de continuer à animer le groupe Facebook bénévolement et à organiser des événements avec les membres. Mais quand elle retourne au pays, l’odeur du jasmin, de l’encens, les humains — même le chauffeur de taxi — lui font un grand bien. « Quand l’avion arrive au-dessus de Beyrouth, je pleure. Quand je quitte, je pleure. Mais quand j’arrive ici, je suis très bien. J’aime ma vie ici. C’est un travail personnel que tous les immigrants doivent faire », dit-elle.

« Au départ, il faut comprendre pourquoi on quitte. Avant d’être immigrant, tu es un émigré ».

Lamia songe à retourner vivre au Liban parfois, mais se rappelle qu’il y a un calcul à faire. Qu’est-ce qui nous rend heureux, qui nous apporte la paix d’esprit ? Elle aborde ce sujet d’ailleurs dans un TEDx Talks auquel elle a participé il y a 11 ans. « Quand tu es en train de déneiger ta voiture à moins 40 degrés et que tu te questionnes sur ton existence au Canada, tu te dis : j’ai choisi le pays de mes enfants. Je l’ai fait pour eux, parce que c’est un avenir plus sécuritaire. Je leur offre un pays stable ».
Picture of Marie-Anne Dayé

Marie-Anne Dayé

Journaliste indépendante, Marie-Anne Dayé s'intéresse notamment aux questions migratoires et aux enjeux sociaux. Bien qu'elle affectionne particulièrement le reportage écrit, elle aime aussi raconter des histoires et décortiquer des sujets par le biais de photos et de vidéos.
Lire les autres articles de Marie-Anne Dayé

A lire également

X
Marie est là pour vous aider ×
Icône Chatbot