En Syrie, Maysoun était architecte depuis plusieurs années quand, avec son mari, ils décident de s’installer au Québec pour y bâtir une famille. C’était le 26 juillet 1990. 32 ans plus tard, le Québec l’honore d’une médaille de l’Assemblée nationale. Dans son pays d’adoption, Maysoun Faouri n’a jamais édifié de bâtiments, elle a fait mieux, elle a construit des destins aux femmes d’ici et d’ailleurs.
Bâtir. C’est un mot phare qui revient régulièrement quand Maysoun Faouri raconte son parcours. Bâtir un Palais présidentiel en Syrie avec 80 autres ingénieurs, bâtir une famille au Québec, aider à bâtir des vies avec l’organisme Concertation Femme, dont elle est la directrice générale, être reconnue comme Bâtisseuse de la Cité de Montréal en 2017… C’est dans la nature de Maysoun, elle est architecte de métier et d’âme. Une pierre après l’autre, elle a pavé son chemin d’espoir, sans jamais regarder en arrière.
« Brûler son bateau de retour »
Maysoun a 31 ans quand elle s’installe au Québec, accompagnée de son mari, « avec peu de bagages et beaucoup de rêves », comme de nombreuses personnes immigrantes. Originaire du Golan, en Syrie, le couple s’établit à Cartierville. La jeune femme est émerveillée par « les arbres à chaque coin de rue de Montréal, les couleurs de l’automne, la neige qui habille la nature en hiver ».
La Syrie, son « pays du jasmin et des premières expériences de vie », elle la garde dans son cœur, mais pour s’adapter à son nouveau pays, Maysoun n’a pas hésité. « La meilleure chose que j’ai faite en arrivant ici, ça a été de brûler mon bateau de retour », insiste-t-elle. Pas question de regarder derrière soi ni de se morfondre. Son urgence, c’est l’apprentissage de la langue française, dont elle ne connaît alors pas un mot. « On ne peut pas apprendre la langue en restant allongée sur son sofa, on ne peut pas connaître la société en restant enfermée chez soi. La langue c’est comme une plante il faut l’arroser si l’on veut qu’elle reste en vie ». Ces conseils, qu’elle prodigue aujourd’hui aux femmes immigrantes, elle les connaît bien. Ses premières marques professionnelles sont assez éloignées de ses rêves de départ. Le 2 décembre 1991, elle est acceptée chez Concertation Femme pour mettre sur pied une halte-garderie. « Je me suis dit qu’il fallait faire n’importe quel travail pour mieux maîtriser la langue ». Sans le savoir, elle vient de franchir le seuil de sa seconde maison. Pour cette association, qui est un lieu d’accueil et d’échanges auprès des femmes de toutes origines, elle se donne sans compter, sans pause ni vacances. Elle garde les enfants, fait la comptabilité de la halte-garderie, assure la promotion.
La vie court, deux enfants naissent, Maysoun travaille toute la journée pour Concertation Femme qui propose désormais des cours de langues et de multiples ateliers. Elle obtient un baccalauréat en éducation, au terme d’un parcours à temps partiel, le soir. En 2000, elle prend finalement la direction de l’organisme. « Je n’ai rien regretté, confie-t-elle, ça fait partie du parcours ». Un parcours qui est à son image, tout en humanité, plutôt qu’en pierre de construction.
« Une vie au cœur de la cité »
Dans un sourire, elle se souvient de ces amis prompts à décourager le couple avant leur départ de Syrie. « Ils nous disaient que nous serions toujours étrangers, à la marge de la société ». Maysoun se fait la promesse que ça n’arrivera jamais. Fidèle à son travail comme à son quartier qu’elle n’a jamais quitté, elle choisit de s’impliquer de près ou de loin dans tout ce qui peut concerner sa nouvelle société d’adoption. « J’ai été de tous les Conseils d’établissement des écoles de mes enfants, de la maternelle jusqu’au secondaire 5, et au conseil d’administration du cégep. Ça m’a permis de connaître le système scolaire de l’intérieur pour être capable de les accompagner, mais ça m’a aussi aidée à développer un sentiment d’appartenance à cette société », confie-t-elle.
Dans son désir profond d’être au cœur de la société et jamais à la marge, on l’a également retrouvée membre du conseil d’administration du journal local, de Solidarité Ahuntsic, présidente de la Table de concertation en violence conjugale du Secteur Nord de Montréal…
La Ville de Montréal ne s’y est pas trompée en la désignant, en 2017, Bâtisseuse de la Cité, « au même titre que Jeanne Mance, Françoise David et d’autres, c’est quand même une reconnaissance qu’on a bâti quelque chose », témoigne-t-elle avec fierté.
« Le sentiment d’appartenance »
Pendant ces 32 ans, Maysoun et sa famille ne sont retournés qu’une seule fois en Syrie. Elle n’a eu de cesse de répéter à ses enfants, nés ici, qu’ils étaient Québécois. Elle a suivi des cours sur l’histoire du Québec pour comprendre et développer un sentiment d’appartenance. « Quand je suis arrivée de Syrie, je voulais vivre comme les gens d’ici. Plus tard, je n’ai pas voulu que mes enfants se sentent dans deux mondes différents ». Chez elle, il n’y a presque rien qui rappelle les origines. « Je ne suis pas venue pour recréer une sorte de Petite Syrie. C’est sûr que je parle ma langue à la maison et que je cuisine des plats syriens, mais j’ai aussi appris à faire des fajitas et des sushis. On est dans un pays multiculturel, qui nous ouvre à beaucoup de choses ». Les personnes qui les assimilent, elle ou ses enfants, à des immigrants, elle n’en tient pas compte, c’est sa force. « J’ai un esprit très positif. Je me sens Québécoise d’origine syrienne, je suis bien dans ma vie, dans ma peau, dans cette société, et la personne qui ne l’accepte pas, c’est son problème. » Avec Concertation Femme, elle donne du sens à ces questions, travaillant sur le deuil du pays d’origine en art-thérapie, développant des cercles de paroles interculturelles avec les bibliothèques du quartier sur les thèmes de l’inclusion, de la diversité, et publiant des recueils comme des passerelles entre les gens.
« Je n’ai pas travaillé dans l’architecture ici, mais l’architecte en moi est toujours là. L’architecte, c’est celui qui coordonne, organise, et ce don-là je l’ai », confie-t-elle finalement.
Le 20 mai 2022, Maysoun Faouri s’est vue remettre la médaille de l’Assemblée nationale du Québec.