La guerre de Succession d’Espagne, qui ravage l’Europe de 1701 à 1712, et oppose principalement l’Angleterre et la France, se répercute lourdement en Amérique du Nord. Après une suite de confrontations qui relevèrent plutôt de l’escarmouche que de la guerre véritable, suivie d’une paix précaire, l’Angleterre lance en 1711, une offensive d’envergure contre la Nouvelle-France, mais qui se brise sur une violente tempête dans l’estuaire du Saint-Laurent, forgeant ainsi l’adage : « un bon naufrage économise une bataille navale. » À la veille de cette offensive avortée, le gouvernement britannique avait adressé une proclamation aux Canadiens français : « Les habitants de la Nouvelle-France seront aussi bien sujets de la couronne de Grande-Bretagne que s’ils étaient nés en Irlande ou en d’autres lieux des colonies de Sa Majesté (…) Ceux des Canadiens qui se soumettront sans résistance seront favorablement traités et en pleine possession de leurs terres et autres biens ; ils jouiront des mêmes droits et privilèges que les sujets naturels de Sa Majesté, avec le libre exercice de leur religion (…) Ceux qui préfèreront passer en France en recevront les moyens (…) En revanche, les Canadiens coupables de s’opposer aux Anglais seront traités en ennemis. » Telle était la répétition, grandeur nature, de ce qui surviendrait quelque cinquante ans plus tard.
Entre-temps, le conflit latent et jamais résolu entre les deux puissances coloniales en dépit de la paix d’Utrecht de 1713, qui livra l’Acadie (globalement l’actuel Nouveau-Brunswick) à l’Angleterre, reprend en 1744. Une fois encore à partir de l’Europe : dans le cadre de la guerre de Sept Ans, Louis XV décide de s’attaquer à l’Angleterre, alliée de l’Autriche. La guerre se propage en Amérique, mal soutenue par la France : son roi n’a aucune conception, ni économique, ni impériale, ni maritime… Il néglige donc d’envoyer au Canada les secours militaires que réclame à grands cris le gouverneur militaire nommé en 1756 afin de redresser la situation, et y parvint à ses débuts, le marquis de Montcalm. De surcroît, Voltaire, chef de file des « philosophes » et leader d’opinion de l’intelligentsia, y compris à la Cour de Versailles, vitupère contre les lointains et coûteux « arpents de neige. »
La bataille des plaines d’Abraham (du nom d’un ancien exploitant agricole des lieux) qui se déroule devant Québec, capitale historique de la Nouvelle-France, le 13 septembre 1759, ne constitue nullement, contrairement à une idée reçue, une victoire anglaise, mais plutôt un « match nul » : les deux généraux en chef y trouvent chacun la mort et le nombre de soldats tués est à peu près le même dans chaque camp ; surtout, les Anglais ne peuvent pénétrer dans la ville et se voient condamnés à un siège hasardeux dans l’hypothèse alors probable de renforts français. Trois jours plus tard, ce sont les notables de la cité qui, nouveaux Bourgeois de Calais, ouvrent les portes aux Anglais. Ce qui ne clôt pas l’affaire : le 25 avril suivant, le successeur de Montcalm, le duc François-Gaston de Lévis, livre une deuxième bataille des plaines d’Abraham et remporte une nette victoire. Lui non plus ne peut investir Québec, mais compte sur un secours promis de France. Qui n’arrive pas : Versailles est demeurée indécise, et ce sont des voiles anglaises que l’on voit remonter le Saint-Laurent. Lévis n’a plus qu’à se retirer. La Nouvelle-France est perdue.
Contrairement au manifeste de 1711, les autorités anglaises administrent, de 1760 à 1763, leur conquête comme un territoire occupé, soumis à un régime militaire, et non comme une colonie anglaise. Mais les choses changent avec le règne de George III et après la conclusion du traité de Paris du 10 février 1763. Les promesses antérieures sont enfin tenues : un nouveau statut territorial entre en vigueur en 1764, créant les provinces de Québec, de Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve, et maintenant en vigueur les droits civil et pénal existants, ainsi que la liberté religieuse. La hiérarchie ecclésiastique s’empresse d’ailleurs de demander à la population d’obéir à ses nouveaux maîtres.
La relative mansuétude avec laquelle l’administration anglaise régit les provinces arrachées à la France répond aussi, à partir de 1773, au souci de disposer d’une base arrière pacifiée au moment où, en Nouvelle-Angleterre, les colons contestent de plus en plus vivement l’autorité de la métropole. La victoire des « Insurgents », concluant, avec l’aide déterminante de la France, la guerre d’Indépendance américaine et la création des États-Unis, débouche sur un deuxième traité de Paris, signé le 3 septembre 1783. Les diplomates anglais s’attendaient à ce que, comme prix de sa victoire militaire, la France réclamât la restitution du Canada. Ce fut là « le deuxième abandon français », définitif celui-là, et mal compris des Québécois — du moins jusqu’en 1967 et la visite du général de Gaulle…
Dès lors, solidement intégré dans l’Empire britannique, première puissance mondiale tout au long du XIXe siècle, le Canada subit des turbulences, internes et externes, tout en cheminant vers l’édification de sa personnalité propre et de sa maturité comme nation de plein exercice.
Texte : Daniel de Montplaisir, auteur de Histoire du Canada, biographie d’une nation, Paris, Perrin, 2019










