L’indépendance des États-Unis fait du Canada le principal point d’ancrage de la puissance britannique en Amérique. La première conséquence en est un afflux de réfugiés, loyalistes anglais qui ne sauraient résider ailleurs que sur les terres de Sa Gracieuse Majesté. Leur élite s’installe à Montréal et en fait rapidement un centre d’affaires très actif, sorte de New York de l’exil. Mais la cohabitation avec une population française et donc historiquement liée à ce royaume responsable de la perte de la Nouvelle-Angleterre ne va pas de soi…
Dans le même temps, l’immigration anglophone se détourne de l’ancienne colonie au profit des provinces canadiennes. Toutefois, avec 140 000 ressortissants sur 170 000 la population canadienne reste, à la veille de l’entrée dans le XIXe siècle, très majoritairement francophone. Il faut donc composer avec elle tout en dotant les anglophones d’un statut qui corrige leur infériorité numérique. C’est pourquoi, la réforme de 1791 défait l’organisation antérieure pour créer deux entités principales : le Haut-Canada, correspondant à peu près à l’actuelle province d’Ontario, et le Bas-Canada, au Québec, chaque territoire possédant son propre Parlement, mais tous deux placés sous l’autorité d’un gouverneur général unique.
C’est dans cette configuration qu’en 1812, le territoire doit faire face à la tentative des États-Unis de l’envahir. D’abord surprise, l’armée britannique, composée d’une majorité de Canadiens français, retourne la situation en sa faveur, s’offre le luxe d’atteindre Washington en août 1814, dont le général Sherbrooke fait incendier la plupart des monuments publics, afin d’ôter aux Américains l’envie de recommencer. Par le traité de paix signé à Gand (Belgique) à la fin de la même année, les États-Unis, qui auront ainsi subi la seule invasion militaire de leur histoire, s’engagent à ne plus jamais revendiquer l’annexion du Canada.
Après le péril extérieur, survient le péril intérieur : la réticence de Londres à reconnaître la responsabilité du pouvoir exécutif devant les assemblées parlementaires canadiennes provoque une contestation croissante à partir du milieu de la décennie 1820, et débouche, en 1834, sur la création, par Louis-Joseph Papineau, d’un « parti patriote », composé d’une majorité de francophones, mais comptant aussi de nombreux anglophones réclamant un véritable régime démocratique. Leur révolte éclate en 1837 et se voit durement réprimée par les autorités britanniques. Après quoi, Londres missionne Lord Durham afin d’étudier les mesures propres à rétablir la paix civile sur des bases solides. Son rapport, remis en 1839, choque les Canadiens français, présentés comme un peuple peu cultivé, peu entreprenant et soumis à une Église catholique quelque peu obscurantiste. Mais il préconise surtout la réunion des deux Canada, avec un gouvernement unique et responsable devant le Parlement. À ses yeux, l’Empire britannique serait d’autant plus fort que ses colonies, plutôt appelées « dominions », seraient libres de s’administrer elles-mêmes.
Réalisé en 1841, le Canada-Uni prend pour capitale Kingston, remplacée par Montréal quatre ans plus tard. Mais une émeute provoquée par l’opposition entre « patriotes » et milieux d’affaires anglophones qui saccage les locaux du Parlement (alors place d’Youville) décide le gouverneur général à déménager encore la capitale, désormais en alternance entre Québec et Toronto.
Au cours des années suivantes, et avec le concours de Londres, le dominion acquiert progressivement son autonomie, son « self government. » Le Premier ministre, responsable devant les députés élus, prend de plus en plus de responsabilités transférées par le gouverneur général nommé par la couronne britannique. À telle enseigne qu’à partir de 1864 le titulaire du poste, John McDonald, envisage la création d’une grande nation canadienne regroupant, au sein d’une confédération, l’ensemble des colonies anglaises d’Amérique du Nord. L’accord, intervenu l’année suivante entre le Canada-Uni, désormais divisé en Québec et en Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick — Terre-Neuve et l’Île-du-Prince-Édouard réservant leur réponse — devient, après approbation par Londres, l’Acte constitutif du 24 mai 1867. Le Canada moderne vient de naître, il ne changera plus de nom jusqu’à nos jours ; il adopte comme devise « d’une mer à l’autre », ce qui anticipe sur sa probable extension jusqu’à la côte du Pacifique ; il retient le bilinguisme pour tous les actes officiels. Enfin, il change encore de capitale : entre les candidatures de Québec, Montréal, Toronto, Kingston et Ottawa, c’est la reine Victoria qui choisit cette dernière, pour deux raisons : la qualité du projet architectural de la « colline du Parlement » ; et parce que le dossier présenté par Ottawa est le seul à ne pas dénigrer les autres…
Il revient désormais à la nouvelle entité de se transformer en nation pleinement libre et adulte, y compris sur le plan symbolique ; il lui faut pour cela relever quelques redoutables défis.
Texte : Daniel de Montplaisir, auteur de Histoire du Canada, biographie d’une nation, Paris, Perrin, 2019










