Certains penseront qu’ils sont en France, d’autres qu’ils sont en Amérique, et tous auront tort. Lapalisse ne le dirait pas autrement : le Québec, ce n’est même pas le Canada ; le Québec, c’est le Québec.
Pour comprendre le Québec, on peut se référer au test des valeurs démocratiques et des valeurs du Québec, élaboré à partir des valeurs exprimées dans la Charte des droits et libertés de la personne, et que chaque candidat à la résidence permanente doit réussir s’il souhaite obtenir son Certificat d’acceptation du Québec. Les valeurs sont regroupées en cinq thématiques :
- la langue française,
- la démocratie,
- l’égalité entre les hommes et les femmes,
- les droits et responsabilités des citoyens, et
- la laïcité, donc.
De fait, l’inclusion et le fait que tout le monde a sa chance au Québec sont des valeurs souvent citées et appréciées par les personnes immigrantes.
Si l’héritage français est palpable, la province reste une partie intégrante d’un pays à majorité anglophone, et partage sa seule frontière terrestre internationale avec les États-Unis, dont l’influence au quotidien est omniprésente – bien au-delà des liens économiques, et quoiqu’en pensent les Québécois eux-mêmes.
Pour autant, la province francophone prône des valeurs de vivre-ensemble, basées sur le principe de l’interculturalisme, ce qui le distingue du reste du Canada dès le stade du contrat social, qui lui préfère l’idée de multiculturalisme. Au Québec, chacun est invité à s’intégrer dans la société en respectant des valeurs communément établies. C’est ainsi que, par exemple, nul ne contredira vos croyances religieuses. Mais celles-ci ne sauraient aller à l’encontre du principe de laïcité de l’État.
Multiculturalisme vs. interculturalisme
On oppose souvent ces deux notions, qui ne sont pourtant pas si éloignées l’une de l’autre.
Traditionnellement, le Canada prône les valeurs du multiculturalisme, un terme que vous avez certainement déjà entendu et qui alimente l’attrait du pays aux yeux de plusieurs personnes immigrantes. Ce concept renvoie à l’idée de pluralisme, de maintien du caractère propre à chaque communauté culturelle au sein de la société. Toutes vivent en cohabitation, dans le dialogue et sous la protection de l’État, mais sans renier leurs croyances ni leur bagage identitaire.
L’interculturalisme se distingue par son rapport aux revendications identitaires particulières, qui ne doivent pas menacer la cohésion sociale ou les valeurs nationales. Chaque personne immigrante doit ainsi trouver individuellement sa place dans la société, dans le respect de la norme commune en place. C’est le modèle qui a la préférence de la province du Québec, dont la société affiche une réalité particulière, celle d’une double ascendance, anglo-américaine et européenne. Le fait français, historiquement fragile en Amérique du Nord, à la fois dominant au Québec et minoritaire au Canada, crée un contexte particulier, qui se traduit par une défense culturelle et identitaire accrue. Attention toutefois à ne pas confondre interculturalisme et assimilation.
Tutoiement
Au Québec, le tutoiement fait partie des mœurs. Pour autant, il n’est pas automatique et on se vouvoie souvent au premier contact. Le tutoiement s’établit en fonction de critères variables, comme l’âge, le contexte ou la fonction sociale, voire le véhicule de communication (par courriel ou au téléphone, par exemple).
Une fois passé le premier contact, le tutoiement s’installe assez vite. Dans la pure tradition nord-américaine d’aplatissement de la hiérarchie et d’horizontalité des rapports interpersonnels, le tutoiement désacralise les communications en mettant tout le monde à l’aise et au même niveau. Cependant, ne confondez pas le tutoiement avec de la familiarité.
EN parlant de familiarité, notez d’ailleurs qu’il est de la plus élémentaire courtoisie de laisser parler son interlocuteur sans l’interrompre. Même entre amis, il est extrêmement impoli de couper la parole.
Fait amusant : l’usage de la première personne s’efface dès lors que l’on pénètre dans l’intimité du logis. Chez moi se dit chez nous ; chez toi, chez vous ; chez lui/elle, chez eux, etc. De la même manière, on n’emploie pas la formule s’il te plaît, mais s’il vous plaît – même avec une personne que l’on tutoie.
Une société libre et égalitaire
Si la Charte des droits et libertés de la personne parle d’égalité « entre les hommes et les femmes », la formule paraît presque réductrice aujourd’hui. L’égalité est le fondement des relations interpersonnelles, sans distinction de sexe, de genre, de croyance ou d’origines.
Par extension, les choix d’autrui n’appartiennent qu’à lui, dès lors qu’ils ne vont pas à l’encontre de la loi ou qu’ils n’empiètent pas sur la sphère d’un autre. La notion de sphère privée, de bulle, est fondamentale, ici. On n’y pénètre pas sans y avoir été invité. On fait preuve de retenue, que ce soit dans les contacts physiques ou encore dans les commentaires et critiques des choix ou de l’apparence d’autrui. Certains y voient de l’ouverture ou de la tolérance, alors qu’il s’agit simplement d’éviter un dérapage très vite associé à de la discrimination ou à du sexisme.
Évitez donc les remarques second degré et autres galanteries. Ça pourrait très mal passer auprès de votre auditoire, bien souvent sans même que vous ne vous en aperceviez (du moins… pas immédiatement).
L’humour
Si le second degré, le sarcasme et l’ironie sont à utiliser avec parcimonie en présence de personnes qui vous connaissent mal (et à proscrire sans exception sur votre lieu de travail), vous découvrirez avec le temps l’extraordinaire humour québécois. Un mélange d’autodérision, de cynisme, de répartie, à bien des égards à contre-courant total de l’étiquette de gentillesse bienveillante qu’on leur prête habituellement. Sa contradiction, de même que le comique de situation et de personnalité qu’il génère, le rendent irrésistible. Il peut tout dire, parce que nul n’ignore alors (a priori) sa posture.
Les Québécois sont des amoureux des comédie-clubs et autres spectacles d’improvisation. On a ici une École internationale du rire et le mondialement célèbre festival Juste pour rire.
De nombreuses comédies québécoises, généralement empruntées au quotidien ou à des tranches de vie, éclaboussent la toile (Série noire, C’est comme ça que je t’aime, Dans l’œil du cyclone, Discussions avec mes parents, Les Mecs, La Candidate, etc.). À consommer sans modération.
La pluie, le beau temps et le hockey
La météo est un sujet de conversation très populaire au Québec… quand on ne sait pas de quoi parler. Idéal pour briser la glace (sans jeu de mot) ou meubler une conversation avec une personne qu’on connaît peu, il ne faut pas non plus s’imaginer qu’on apprécie causer ici plus qu’ailleurs de puissance des bourrasques ou de consistance des flocons de neige. Personne n’est dupe, et personne n’aime la neige ailleurs que sous des skis (hormis les enfants, bien sûr). En campagne, en revanche, ce sujet est communément admis et fait partie intégrante des usages (pas seulement au Québec, d’ailleurs).
Parler météo, hockey, et al. est surtout une manière d’engager un contact neutre avec autrui, offrant a priori un degré mineur d’intrusion dans la sphère privée de son interlocuteur et peu de prise au débat d’idées (faites attention avec le hockey, quand même).
L’amitié
La cordialité des Canadiens est proverbiale. Vous aurez immanquablement l’impression de pouvoir parler de n’importe quoi à n’importe qui, et vous vous réjouirez que personne ne s’offusque ou ne se sente menacé lorsque vous les sollicitez.
Mais méfiez-vous de la facilité avec laquelle les gens engagent une conversation ici, un trait qui ne saurait constituer une marque d’amitié – ni un intérêt à en développer une, au sens latin du terme. La confusion entre une relation avec de l’amitié constitue un grand facteur d’incompréhension pour les nouveaux arrivants.
L’amitié se vit différemment, ici. Elle prend du temps, de la patience, de la confiance, de l’écoute et de l’engagement. L’amitié, ce concept galvaudé sur les réseaux sociaux, où l’on accumule membres de sa famille et rencontres d’un jour sans distinction, l’amitié se mérite, au Québec. Avant d’en arriver là, vous passerez par les stades de la rencontre, puis de la relation. Vous commencerez par intégrer un cercle : celui des membres de votre communauté d’origine, celui des collègues de travail ou dans le cadre d’une activité bénévole, celui du club de gym, celui des parents de la garderie ou de l’école, celui des voisins, celui des amis d’amis, etc. Comprendre le système des cercles de relations, c’est déjà faire un grand pas. Assimiler l’idée que deux cercles peuvent ne jamais se rencontrer vous aidera à situer votre niveau d’intimité avec votre entourage, à ajuster vos attentes en conséquence, et à réduire votre frustration éventuelle.
Sachez faire preuve de patience dans la façon dont vous vivez vos relations. Ne précipitez pas les choses. Au Québec, on ne s’invite pas tout de suite chez nous, au début. Inviter un Québécois chez vous pourra vous paraître anodin et n’engageant que vous. Détrompez-vous. Cela peut le mettre mal à l’aise, voire le rendre redevable de vous inviter en retour, alors qu’il n’est pas prêt ou n’en a peut-être simplement pas envie. Par conséquent, laissez venir les locaux à vous et commencez en zone neutre, à l’extérieur.










