Comprendre les raisons qui poussent les autorités à apporter une nouvelle restriction aux conditions d’accès à l’un des permis de travail les plus prisés dans le dispositif d’immigration au Canada.
À la demande expresse du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), les autorités fédérales ont annoncé le resserrement à venir des conditions d’accès au permis de travail post-diplôme (PTPD) pour certains établissements d’enseignement du Québec.
Cette mesure, qui entrera en vigueur à l’automne 2023, pourrait bien changer la physionomie de la formation collégiale, de même que celle des étudiants étrangers du Québec.
Un permis de travail (très) ouvert
Le PTPD est un permis de travail ouvert d’une durée allant jusqu’à 3 ans, calculée selon celle du programme d’études complété par le demandeur. Un permis ouvert signifie que son titulaire peut travailler pour n’importe quel employeur, n’importe où au Canada — même s’il a étudié au Québec.
Traditionnellement, les conditions d’accès à ce permis sont très libérales. L’étudiant étranger doit :
- suivre un programme à temps plein d’une durée minimale de 8 mois,
- dispensée par un établissement d’enseignement désigné (EED),
- et présenter une demande complète, dans les 180 jours qui suivent l’obtention de son diplôme ou de son certificat (l’étudiant devra avoir pris ses dispositions pour conserver un statut au Canada si son permis d’études expire dans ce délai).
Une fois ces conditions remplies, l’accès au PTPD se fait de plein droit, au terme d’une démarche simplifiée, puisque le programme relève uniquement du fédéral. Aucune démarche n’est réalisée auprès du MIFI dans le cadre du PTPD.
Pour finir, le titulaire du PTPD a la possibilité de rattacher un époux ou un conjoint de fait à son permis, conférant ainsi à ce dernier un permis de travail ouvert de durée équivalente.
Une singularité québécoise
Or, à compter du 1er septembre 2023, une condition supplémentaire va venir s’ajouter à la liste existante. Les étudiants devront avoir suivi un programme dans un établissement d’enseignement non seulement désigné, mais aussi subventionné. En d’autres termes, les étudiants étrangers inscrits dans un établissement privé non subventionné ne seront plus admissibles au PTPD.
Qu’entend-t-on par « établissement privé non subventionné » ? Selon les termes de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC), il s’agit « d’établissements à but lucratif pour lesquels la ministre responsable de l’Enseignement supérieur délivre, selon certaines conditions, un permis les autorisant à offrir une formation collégiale. » La Commission ajoute que, « dans les faits, les établissements de cette catégorie offrent un ou des programmes, de courte durée, dans un domaine spécifique à un programme d’études techniques. Généralement, les programmes qu’ils offrent sont destinés aux adultes et conduisent à une attestation d’études collégiales (AEC). »
Cette mesure est-elle originale ? En réalité, elle ne fait qu’harmoniser l’accès au PTPD entre le Québec et les autres provinces canadiennes. Mais les conséquences s’annoncent importantes sur les établissements non subventionnés, principalement des collèges anglophones, qui misaient sur cette particularité québécoise pour attirer des personnes dont certaines utilisent une formation courte comme prétexte pour travailler et immigrer de façon permanente au Canada.
Passage obligé vers la résidence permanente
La tendance vers le resserrement des dispositifs offerts aux étudiants étrangers du Québec n’est pas nouvelle. Rappelons qu’avant la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), les étudiants étrangers admissibles pouvaient entamer les démarches pour la résidence permanente dès la fin de leur programme d’études. Le PTPD leur permettait alors de commencer à travailler immédiatement, en attendant d’obtenir leur statut permanent.
Mais depuis 2019, un diplôme ne suffit plus : les étudiants étrangers doivent justifier une expérience de travail d’une durée de 12 à 18 mois, selon qu’ils sont inscrits au collège ou à l’université.
Un prérequis que les étudiants étrangers peuvent généralement compléter grâce… au PTPD, qui est ainsi devenu le passage obligé pour ceux d’entre eux qui désirent s’installer au Canada de façon permanente, sans en passer par la longue et incertaine voie régulière.
De fait, en privant de PTPD les étudiants étrangers inscrits dans les programmes non subventionnés, les autorités les privent tout simplement de perspectives au pays après leurs études. Or, sans perspectives de travail ni d’immigration permanente, il est clair que certains étudiants étrangers trouveront soudainement le Québec moins attractif. Alors que le Québec cherche par tout moyen à attirer du monde, non de le dissuader de venir, comment comprendre cette volonté soudaine des autorités québécoises de démanteler ainsi ce qu’il convient d’appeler un régime de faveur — celui de pouvoir puiser dans un bassin plus étendu qu’ailleurs au Canada de jeunes diplômés du Québec, prêts à travailler ?
Du rififi dans les collèges
Pour comprendre, il faut observer l’évolution récente des étudiants étrangers dans les collèges publics et privés du Québec. Celle-ci révèle plusieurs phénomènes, d’abord marqués par une forte augmentation de la population étudiante au Québec, en particulier au niveau collégial, dans le public comme dans le privé. Comme le relève Eric N. Duhaime dans son rapport Les étudiants internationaux au collégial : portrait, tendances et enjeux, « leur nombre est passé de 3 520 à 6 327 de 2011 à 2016 (+80 %) et ensuite de 7 017 à 16 505 de 2017 à 2019 (+135 %), une augmentation de 369 % pour la période 2011-2019. »
Une augmentation dont on pourrait se féliciter si elle ne révélait pas quelques anomalies. Première anomalie : la croissance fulgurante du nombre d’étudiants indiens. À l’automne 2019, ils se classaient pour la première fois au premier rang des pays de provenance des étudiants étrangers au collégial, avec 7 687 inscrits — pour la plupart en AEC dans le réseau privé anglophone non subventionné, soit la moitié des étudiants étrangers inscrits au collégial tous réseaux confondus. Pour se faire une idée, ils étaient 14 en 2011, 571 en 2017 et, subitement, 3 667 en 2018.
En comparaison, les étudiants français (France métropolitaine et TOM), qui représentaient 68 % des étudiants étrangers inscrits dans le réseau collégial public (cégeps) en 2019, n’étaient que 4 072 (et les Chinois 778). Un réseau des cégeps qui ne comptait en tout et pour tout que 4 993 étudiants étrangers, toutes nationalités confondues.
Cette tendance s’est poursuivie les années suivantes, alors que, autre signal révélateur, le nombre de collèges privés non subventionnés bondissait lui aussi, de 28 en 2015 à 48 en 2022.
Une voie de contournement désormais barrée
En réformant le PEQ Étudiants et en conditionnant son admissibilité à une expérience significative de travail, les autorités québécoises étaient parties d’un postulat simple : les personnes étrangères qui viennent au Québec pour étudier et qui souhaitent rester après l’obtention de leur diplôme vont, en toute logique, rester au Québec.
Mais le schéma mis en place par certains acteurs du réseau collégial privé non subventionné en réponse à cette réforme nous montre une tout autre réalité. Des pratiques qui consistent à recruter, selon des méthodes parfois discutables, des étudiants anglophones pour les former en anglais au Québec, et que l’on voit repartir avec un permis de travail ouvert, le fameux PTPD, qu’ils n’auraient jamais obtenu ailleurs au Canada dans ces conditions — mais qui leur donne, pour autant, la possibilité de s’installer et travailler dans une province anglophone dès la fin de leurs études. Une possibilité quasi impossible à manquer pour certains, qui accèdent alors une forte probabilité d’obtenir la résidence permanente bien plus rapidement que s’ils restaient au Québec, à devoir, en plus, apprendre le français pour espérer passer l’étape de sélection provinciale.
Étant donné les proportions prises par ce qu’il convient presque d’appeler une voie de contournement du PEQ, il n’était qu’une question de temps avant que les autorités n’interviennent. Dans son communiqué du 7 juin 2022, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) évoque son intention de « préserver l’intégrité du Programme des étudiants étrangers au Québec » et d’éviter que « le Québec soit utilisé comme passerelle pour s’établir de façon permanente au Canada ».
Vers une sélection plus fine des étudiants étrangers
Tous les collèges privés non subventionnés étaient-ils à blâmer ? La nouvelle mesure ne fait, en tout cas, pas de distinction. Il y a trois raisons, essentiellement, à cela.
La première, c’est que les autorités n’ont aucun intérêt à laisser une brèche ouverte. Le système actuel d’immigration pour études est mal adapté à des situations litigieuses, et le verrouillage du PTPD pourrait bien permettre de constituer une sorte barrière de contrôle supplémentaire sur les intentions réelles des personnes qui viennent étudier au Québec. À l’heure actuelle, une telle barrière existe plus ou moins au fédéral, au niveau de l’émission des permis d’études — la fameuse évaluation de l’intention des étudiants de quitter le Canada après leurs études, dont le fonctionnement et les contradictions commencent à faire grand bruit. Mais elle n’existe pas au niveau du Québec, où une admission à un programme d’études émise par un EED constitue la pièce maîtresse d’une demande de sélection temporaire pour études. C’est ce qui explique la différence souvent du simple au double (ou plus encore) entre le nombre de Certificats d’acceptation du Québec (CAQ) pour études qui sont émis par le MIFI, et celui du nombre réel de permis d’études finalement délivrés par IRCC. Il en résulte qu’une part importante du travail de sélection des étudiants étrangers par le Québec est réalisé en pure perte. Or, une telle mesure pourrait bien permettre une sorte de tri de fait des candidats aux études postsecondaires au Québec.
La seconde, c’est que cette mesure est en droite ligne avec les mesures finalement retenues en contrepartie de l’abandon de l’application de la Loi 101 aux cégeps anglophones : gel du nombre de places en AEC et programmes courts en anglais, contingence du nombre de places disponibles dans le réseau public anglophone, validation par tous les étudiants en cégep anglophone de 3 cours en français, dès 2024, etc. La logique vise à assurer la dispense, même a minima, de cours en français — et donc que les étudiants anglophones du Québec devront faire l’effort d’apprendre le français.
Enfin, troisième raison, c’est que le recentrage du PTPD sur les établissements subventionnés s’inscrit dans une tendance de sélection plus fine des personnes immigrantes temporaires. Les étudiants étrangers seront donc présélectionnés par des établissements d’enseignement reconnus d’intérêt public, financés en partie par des fonds publics — et donc a priori de confiance. Une tendance qui n’est pas sans rappeler l’évolution de la sélection des travailleurs temporaires, et le rôle croissant des entreprises dans le processus. Après tout, les étudiants d’aujourd’hui sont la main-d’œuvre de demain…
Photo : Joe Zlomek