
Certaines personnes sont comme des chats, on leur prêterait volontiers plusieurs vies au regard de tout ce qu’elles ont accompli. Fabienne Colas est de cette trempe, tour à tour mannequin, actrice, réalisatrice, productrice, conférencière, entrepreneuse… Consacrée Reine des Festivals par Radio-Canada, cette artiste militante de la première heure, ancienne Miss Haïti, porte avant tout la défense de la diversité en bandoulière. Il y a 20 ans, en route vers Hollywood elle a fait un arrêt au Québec et n’est jamais repartie. Son nom en capital, c’est ici qu’elle l’a écrit.
Haïti-Chicoutimi. C’est le premier trait d’union qui a relié Fabienne à la province, à la faveur d’une correspondance entamée vers l’âge de douze ans avec une jeune Québécoise, à qui elle va enfin rendre visite dix ans plus tard. « J’étais la seule noire en fait, les gens se retournaient littéralement pour me regarder, mais il n’empêche que là où j’ai ressenti le plus de chaleur, c’était bien à Chicoutimi ».
Une fois revenue chez elle, Fabienne a un objectif en tête : Hollywood. Il faut dire que la jeune femme est déjà une vedette en Haïti, actrice primée, elle est aussi Miss Haïti, Miss West Indies, elle accumule les contrats et est très demandée. Mais l’idée d’une transition passant par le Québec fait son chemin. « Ça m’a pris un peu de temps pour fermer une page, je ne voulais pas avoir un pied en Haïti, un pied au Québec et mon esprit à Hollywood. » Certains immigrants se vivent ainsi toute leur vie, de passage, en attente. Fabienne, elle, veut « respirer à un endroit ». Sa transition mentale relève d’un défi. « En Haïti, j’avais le syndrome de l’imposteur : tout marchait trop bien ce qui ne me semblait pas normal. Je me suis dit, si je suis capable de tout recommencer à zéro là où on ne me connaît pas, alors le succès sera mérité. »
Donner une voix aux talents noirs
En 2003, alors qu’elle s’installe à Montréal, la réalité rattrape la vedette de 24 ans connue en son pays. Ici, elle a « la peau noire », « un accent », « aucune opportunité pour travailler », lui dit-on. Ce qui la sauve, c’est sa naïveté. « Je n’ai jamais pensé que c’était du racisme ou un biais systémique, confie-t-elle. Je me disais juste que je venais d’arriver et qu’il fallait que je défonce les portes pour qu’on me considère ». Sa persévérance s’avère payante, elle décroche des rôles dans plusieurs séries télévisées, comme Watatatow ou Virginie, Trauma. Mais le manque de diversité dans le milieu artistique la frappe. Quand elle décide de présenter dans les festivals, Barikad, le film d’Haïti pour lequel elle a obtenu le Ticket d’or de la meilleure actrice et qu’aucun festival n’accepte de présenter, c’est le déclic. « Montréal avait besoin d’un nouveau festival », conclut-elle.
Elle crée alors la Fondation Fabienne Colas. « L’idée était de mettre en place une plateforme de diffusion pour soutenir et promouvoir des artistes d’Haïti », le projet donne lieu au Festival international haïtien de Montréal, qui deviendra en 2005 le Festival international du film black de Montréal pour soutenir l’ensemble de la communauté noire. Fabienne a 26 ans. En quelques années, elle va essaimer et créer une douzaine de festivals : le Festival du film noir de Toronto, le Festival Haïti en folie à Montréal et à New York, le Festival Fondu au noir à Montréal, dédié à la célébration du Mois de l’histoire des Noirs, Halifax Black Film Festival… Des festivals, qui ont accueilli au fil des ans plus de 2 millions de participants et soutenu plus de 5 000 artistes.
Bâtir des liens
Évidemment, Haïti garde une place à part. Que ce soit par l’image, la musique, la littérature, l’artisanat ou même les jeux pour enfants, Fabienne veut tout partager « pour permettre aux gens de découvrir la culture, mais aussi à ceux d’ascendance haïtienne de redécouvrir leur culture d’origine, car certains sont nés ici et ne sont jamais retournés dans le pays de leurs parents ou de leurs grands-parents ».
De tous les festivals qu’elle a créés, il en est un qui tient une place particulière : le Festival du film québécois en Haïti, qui forme depuis 2009 comme un pont entre sa terre d’adoption et sa terre d’origine. Quand elle parle, Fabienne construit toujours beaucoup de ponts, « entre les artistes et le public », « entre les cultures »… C’est aussi le conseil qu’elle aimerait confier aux immigrants qui arrivent, quel que soit leur pays d’origine : « il faut venir avec l’idée de créer des ponts et d’établir des liens très rapidement pour ne pas laisser l’isolement s’installer ». Se présenter au consulat, aller frapper dans les regroupements d’entrepreneurs, des chambres de commerce, des associations, des centres culturels, des organismes caritatifs, devenir bénévole pour un festival, parler aux chauffeurs de taxi, aux étudiants, se trouver un mentor pour se faire expliquer le Québec, le Canada… L’entrepreneuse militante et engagée d’aujourd’hui est passée par toutes ces étapes. « En faisant ça, on crée des liens, on se trouve des amis et on construit un réseau. J’ai tellement intégré la culture québécoise que je me suis mariée à un Québécois qui est blanc de blanc aux yeux verts. La diversité c’est d’abord chez moi qu’elle existe ! » s’exclame-t-elle en riant.
Immigrant : le devoir de s’accomplir
L’artiste aux multiples casquettes ne s’y trompe pas, elle avait promis à son pays d’origine de lui faire honneur. C’est chose faite, pour celle qui a multiplié les distinctions et prix honorifiques. L’un d’entre eux retient particulièrement l’attention. En 2018, elle rejoint le club très sélect des « Canada’s Top 40 under 40 » (Prix Top 40 des Canadiens les plus performants de moins de 40 ans), c’est la seule Québécoise francophone et seule femme noire de cette édition. Pas de cri de revanche, juste de l’humilité chez celle qui affirme « je serai toujours une immigrante, il n’y a aucun mal à ça, je pense que lorsqu’on est immigrant on a le devoir d’accomplir des choses à titre personnel, de contribuer au Québec moderne parce qu’il y aura toujours des gens qui vont penser à tort que les immigrants ne travaillent pas ou ne parlent pas français… ».
Devoir accompli.
Photos : courtoisie Fondation Fabienne Colas