Le Canada, Carla l’a beaucoup rêvé, espéré, attendu… De son Brésil natal, elle formait déjà son futur noyau pour cette autre Amérique, bien plus au nord. C’est au Québec, à Montréal, que le noyau de Carla a bourgeonné et pris racine : son mariage, ses enfants, sa vie.
À l’époque, il n’était encore que son petit ami, mais Carla avait prévenu Leonardo : son rêve, c’était le Canada, bien loin du climat politique et économique de Sao Paulo, au Brésil, où ils vivaient. « Nous sommes venus en voyage ici en 2009 pour connaître le pays. Mon (futur) mari n’était jamais sorti du Brésil et, pour lui, le changement était grand. Il trouvait ça très beau et sécurisant. On pouvait marcher sans crainte dans les rues et la nature était partout. » De son côté, Carla avait déjà lancé la procédure de demande de résidence permanente. Six mois après, Leonardo était lui aussi sur les rangs. Pas question de laisser s’envoler, seule, celle qui deviendrait sa femme.
Constituer un noyau solide
Quand ils foulent le sol montréalais en février 2012 après plus de 2 ans d’attente, ils ont 27 et 28 ans, pas d’enfant, pas de famille sur place. Mais ils sont loin d’être totalement livrés à eux-mêmes. Avant même d’arriver au Canada, Carla avait déjà commencé à développer son réseau. « Je suis très sociable et, sachant que nous n’avions pas de famille sur place, on allait avoir besoin d’amis. Je créais des liens par internet, je lisais des blogues de personnes qui habitaient ici, des Brésiliens pour la plupart. À notre arrivée, j’avais connu la majorité des personnes comme ça ! ». Dans un réseau, tout compte.
La cousine d’un ami de sa mère, établie depuis 30 ans à Montréal, leur a fait le cadeau de venir les chercher à l’aéroport. Cette personne, jusqu’alors inconnue, est désormais la marraine de son fils aîné, Arthur.
Quant à la dame philippine chez qui le couple a loué son premier pied à terre à Montréal, au sous-sol du logement, « elle était là à notre cérémonie de citoyenneté, elle a gardé Arthur qui avait 2 ans et demi », raconte Carla dans un sourire.
La communauté au sens de Carla, c’est celle qu’elle se constitue, multiculturelle. « Il y a une communauté brésilienne ici, mais nous ne sommes pas très proches, les Portugais sont plus patriotes que les Brésiliens. Il n’y a pas non plus un quartier où les Brésiliens sont tous réunis. » Après avoir déménagé six fois la première année, allant jusqu’à Guelph, en Ontario, où les conduit le travail en informatique de Leonardo, le couple fait du quartier de Saint-Laurent à Montréal, son port d’attache.
« Nous étions décidés à rester vivre ici alors très vite nous avons voulu acheter pour ne pas perdre d’argent ». Dans le quartier, les condos sont neufs et, pour les familles, la Maison de l’enfance est un joyau inestimable : garderie, maison des familles, centre de pédiatrie sociale. Un grand nombre d’habitants viennent de Chine ou du Liban. Une richesse chère à Carla, « il n’y a pas une identité canadienne, mais autant d’identités formées par ceux et celles qui y vivent ».
Pour le couple, fini les migrations, une autre page se tourne. La famille naît.
Les enfants, un intégrateur puissant
« Les enfants sont des accélérateurs pour s’intégrer, surtout pour mon français ! Avec Arthur j’ai fréquenté le parc tous les après-midi, j’écoutais les personnes parler français, c’est comme ça que j’ai commencé à me faire des amis. »
Arthur, 4 ans et demi et Érick, 9 mois, sont nés ici, à Montréal. Carla est très fière de leur double nationalité. Fière aussi de l’accent québécois qu’Arthur intègre naturellement au centre de la petite enfance qu’il fréquente et de la culture qui sera la sienne, faite d’un doux mélange nord-sud. Elle veille à ce qu’il ait tous les codes pour vivre ici. « Je l’ai mis au patinage. C’était mon rêve, j’étais très fière de le voir ! Mais surtout, j’avais remarqué qu’ici les parents emmènent tout l’hiver les enfants dans les parcs pour patiner, il était important qu’Arthur puisse le faire aussi. »
Pour la transmission de leurs racines brésiliennes, les enfants peuvent compter sur la musique que leurs parents écoutent beaucoup, ainsi que les traditions culinaires. « Ce que je cuisine est brésilien, on mange des haricots, des farofas (farine de manioc avec des épices) ». La nourriture de sa propre mère, c’est ce qui manque le plus à Carla, « et la famille bien sûr ».
Des manques il y en aura d’autres, Carla le sait. « Les enfants ne vivront pas la festa junina, c’est un peu comme la Saint-Jean, mais au Brésil ça se fête avec des plats typiques, des danses typiques. J’ai fait ça toute ma vie, mais eux ne savent pas ce que c’est… ». Un silence. « Tu t’habitues à être loin, petit à petit tu t’anesthésies. ».
Les enfants ne connaîtront pas non plus les problèmes du Brésil, juste les bons côtés, ceux des vacances, des retrouvailles. « On revient à peu près tous les 2 ou 3 ans ».
La mélancolie est furtive, car le tempérament de Carla est résolument positif et tourné vers l’extérieur.
Vivre l’hiver pour mériter l’été
« Moi je sors beaucoup, beaucoup ! L’été, je fais tous les festivals, les fêtes de quartier, la fête du Canada, la Saint-Jean… Je suis de toutes les fêtes ! »
Et pour l’hiver ? Même recette, « Sortir ! Sinon les bébés ne vont pas s’habituer au froid, au chaud, au changement d’ambiance ». Mais Carla le reconnaît, « c’est très différent de vivre avec enfant ou sans enfant, surtout l’hiver ! Juste s’habiller, habiller les enfants, c’est plus compliqué. Ce qui me rend positive c’est quand tombe la première neige, mon fils est tellement content ! Alors moi aussi, j’aime l’hiver pour ça. Nos enfants ne sont pas habitués à la chaleur. Cet été, nous étions à la plage, Arthur avait trop chaud, il voulait rentrer. Il préfère déjà la neige… » Carla de son côté commence, au bout de 7 ans, à se plaindre de l’hiver, des conditions, de la baisse de lumière qui affecte son moral. Elle en rit : « Me voici devenue une vraie Canadienne ! ».
Quand elle évoque sa cérémonie de citoyenneté en 2016, la jeune femme de 35 ans est émue. « C’était mon rêve cette nationalité. J’ai pleuré pendant la cérémonie, j’avais en tête tout le film de notre parcours ici, de nos débuts dans notre sous-sol… Pour moi la meilleure chose ici c’est d’être libre et me sentir en sécurité »
Carla n’est toutefois pas naïve. « Ce n’est pas un paradis non plus, et je suis un peu déçue au niveau de l’emploi ». « Les recruteurs aiment ma personnalité, mais ce qui est compliqué c’est mon niveau de français et le fait que je n’ai pas de diplôme d’ici », explique cette ingénieure en génie alimentaire. L’avenir, Carla le regarde dans les yeux de ses enfants « j’ai juste envie de les voir grandir, s’intégrer, obtenir un diplôme… ». Elle rajoute dans un souffle « et pour moi, peut-être, travailler ici… ».
Image de couverture : Carla et Leonardo