Arrivé au Québec il y a 7 ans, Oswaldo s’est découvert une identité inédite pour lui, celle de « l’immigrant ». Il voulait avant tout vivre une nouvelle expérience. Mais, sans le savoir, il allait remettre toute sa vie en perspective.
Là-bas, il était « quelqu’un ». Au Mexique, Oswaldo travaillait dans l’équipe de communication de la présidence de la République, il prenait des décisions d’envergure, menait une équipe importante, et était fort de ses 17 années d’expérience professionnelle.
Quand il est arrivé au Québec en janvier 2013, avec la volonté de se donner un nouveau défi, il s’est soudain retrouvé dans la position de « l’immigrant de la salle ». Le choix de Montréal relevait pourtant d’un véritable choix stratégique de sa part. Au bout d’un long processus de sélection, Oswaldo avait retenu 5 grandes villes dans le monde pour reprendre des études en communication politique. L’Université de Montréal est la première à accepter sa demande d’inscription. En poche, il a une bourse du gouvernement mexicain, qu’il vient de décrocher, ainsi que des économies. Se remettre dans la peau d’un étudiant n’est pas un problème, de même que la langue d’enseignement : il a étudié le français à l’Alliance française.
Mais c’est une autre réalité qui le rattrape. « J’étais loin de ma culture latino-américaine très accueillante, ça m’a pris 3 mois avant que quelqu’un me demande si j’étais sur Facebook. Mais le plus grand défi, ç’a été la langue, même après avoir étudié le français pendant des années. Le français québécois m’était totalement étranger. Je ne comprenais pas un mot à l’université, ni des professeurs ni au cours des discussions avec les autres », se remémore-t-il.
Le spectre de la dépression
Son image de « premier de la classe » en prend un coup. Le voilà boursier, en colocation, obligé de se faire sa boîte à lunch et dans un environnement extérieur à -30 °C. « Quand j’entendais les gens me dire “ne t’inquiète pas, ça va venir l’été, la ville va changer”, j’en étais arrivé à croire que l’été était un ami imaginaire que les Québécois s’étaient inventé pour mieux survivre à l’hiver ». Il sourit, mais derrière la façade, c’est le vide. « Je pensais que rien n’allait jamais s’améliorer, je n’étais pas en condition pour voir que tous les jours j’apprenais quelque chose, que je m’adaptais un peu plus, que je comprenais mieux l’accent. J’avais perdu l’espoir, j’ai compris à ce moment-là que j’étais déprimé. »
Il compare son adaptation au coucher du soleil, « c’était chaque jour deux minutes de luminosité de gagnées, un changement minimal, mais qui au bout du compte fait la différence ».
Un jour, l’été arrive. « C’était donc vrai ! Au même moment, je me suis senti plus à ma place. »
L’emploi et le tabou du racisme
Confronté à la fameuse « première expérience québécoise », Oswaldo n’aurait jamais pensé qu’il peinerait autant pour accéder à un premier emploi dans son domaine, la communication. « Une pratique courante au Québec c’est que les employés immigrants se font reconnaître la moitié de leur expérience, évidemment on est payés moins », souligne-t-il amèrement.
Mais c’est lorsqu’il rencontre des employeurs de visu qu’il a son plus grand choc. « Lors d’un réseautage, je raconte de vive voix mon expérience professionnelle à une compagnie québécoise à qui j’avais déjà envoyé ma candidature. Et là, je m’entends répondre : “En communication, je ne t’embaucherai jamais parce que tu n’es pas Québécois, je peux te donner un espace dans un entrepôt pour commencer, c’est tout” ». Cette méfiance de l’autre, ce racisme sous-jacent et tabou, Oswaldo y a été confronté plus d’une fois. « Une conseillère en emploi est allée jusqu’à me demander si j’étais prêt à changer mon nom de famille… ». Oswaldo doute à nouveau de sa place ici. « J’étais ouvert pour travailler pour n’importe quel salaire, mais dans mon domaine, en communication. »
Face à son absence d’expérience québécoise et à son niveau d’études trop élevé, il tourne en rond — avant de rebondir, finalement. « Je me suis rapproché du CESAR, le centre étudiant de soutien à la réussite de l’Université de Montréal, je me suis inscrit aux événements de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, à l’organisme InterNations, j’ai fait des activités de bénévolat… ». Il prend aussi en charge bénévolement la communication de son club de course pour avoir une expérience québécoise. « Pour un employeur québécois, la gestion de la page Facebook de ce club de course était plus importante que toute mon expérience au Mexique à diriger des campagnes nationales. »
Finalement, il décroche son premier emploi au bout d’un an et trois mois de recherches, après avoir postulé à plus de 100 offres. « Ma supérieure était aussi immigrante, donc capable de voir au-delà de mon nom », estime-t-il.
Définir sa nouvelle identité
Cette histoire de discrimination l’a rendu beaucoup plus sensible à la question. « Ça me donne envie de lutter encore plus contre les inégalités ». Lui qui se sent chez lui au Québec, qui aime la culture de la province et son mode de vie, ne veut pas pour autant devoir nier ses origines mexicaines. « C’est compliqué, car dans la construction de mon identité, je me fais rappeler tout le temps que je ne viens pas d’ici, par mon nom, mon visage, mon accent. Et ce peu importe ce que je ressens, si je maîtrise et aime ma ville, si j’adore m’y déplacer à vélo, si j’y ai mes habitudes, mes attachements. »
L’immigration est souvent le terrain de cet entre-deux, « pas d’ici, plus de là-bas ». Parfois, le sort s’en mêle. Le 13 mars dernier, la Covid-19 lui a joué un drôle de tour. « Je devais avoir ma cérémonie de citoyenneté ». Depuis, il attend « ce symbole fort ».
Après 7 ans de vie au Québec, Oswaldo a fait la paix avec son confort de vie, différent de celui qu’il aurait s’il était resté au Mexique. Il sait aussi que l’immigration a fait de lui « une meilleure personne, plus ouverte aux différences », et qu’il a trouvé ici une richesse et une nouvelle liberté. « Avoir le privilège de pouvoir quitter un bar à 3 h du matin et savoir qu’un des pires dangers auxquels je puisse faire face, c’est moi-même, c’est quelque chose que tu ne peux pas vivre dans beaucoup de pays du monde ». Une paix intérieure qui n’a pas de prix.
Photo de couverture : Robin Pineda Gould