Parti de Syrie pour l’Italie puis le Liban afin de devenir prêtre, Chadi Alhelou a revisité plusieurs fois sa trajectoire. C’est au Québec qu’il atterrit finalement, en 2004. Tour à tour comédien, réalisateur, metteur en scène et désormais producteur, en moins de deux décennies, il a aussi bâti une fondation pour les enfants réfugiés syriens, lancé une agence de soutien aux artistes venus d’ailleurs, créé et produit un festival interculturel en Montérégie… S’il y a bien une vocation qui ne l’a jamais quitté, c’est celle d’être un rassembleur.
Quand Chadi déroule sa vie, c’est déjà quasiment un scénario. Quittant la Syrie à 18 ans, il entre au monastère, chez les Capucins, avec un apprentissage entre Liban et Italie. À 28 ans, il quitte les ordres et veut émigrer au Canada pour échapper au service militaire syrien. Il doit obtenir son visa en 3 mois et part l’attendre en l’Angleterre. Il n’arrivera qu’au bout de 2 ans et demi.
Le 12 juin 2004, c’est une deuxième vie qui commence enfin. Chadi vient d’arriver au Québec, il a la trentaine. Clap de fin du premier épisode.
« On est là ! », pour les talents d’ailleurs
« Mon arrivée ici n’a pas été difficile, car je parlais déjà français, italien, anglais donc je n’ai pas connu de problème d’intégration lié à la langue », confie-t-il. Sur les bancs de l’UQAM, il gradue petit à petit et obtient un BAC en Stratégies de production médiatique et culturelle, en travaillant en parallèle. Mais il note très vite « un Québec en retard par rapport à la diversité ». « On ne la trouvait ni à l’université ni sur les écrans, elle n’était nulle part en fait ». Lui-même, en tant que comédien, constate régulièrement l’absence de représentation des artistes issus des diversités culturelles. « J’entendais souvent les gens du métier dire “on a cherché ce profil, mais on ne l’a pas trouvé”, mais nous, comédiens issus de la diversité, si on ne passe pas d’audition, personne ne peut nous voir, nous découvrir, alors comment peut-on y arriver ? » Cette question qui ne cesse de le travailler, il va y répondre lui-même en co-fondant, en 2020, « On est là ! » : une agence qui accueille ces artistes venus d’ailleurs, les représentent, les intègrent sur le marché du travail. Un point centralisé de ressources qui permet de dire aux producteurs et diffuseurs « Regardez, si vous cherchez, on est là ! ». Il prend notamment l’exemple du film québécois de Philippe Falardeau, Monsieur Lazhar, sorti en 2011. « Pour le rôle principal, ils sont allés chercher le comédien algérien Fellag qui vit en France. Pourquoi ne pas considérer des gens d’ici ? ». Après deux d’activité avec son agence, il constate que les stéréotypes médiatiques et culturels évoluent peu à peu. « Aujourd’hui, on nous appelle beaucoup. C’est sûr, c’est rarement pour des premiers rôles, mais ça commence à bouger ». Il n’empêche, pour Chadi, la plus grande réussite resterait « que cette agence n’ait plus lieu d’être ».
Un humaniste engagé
Chadi se définit volontiers comme un artiste engagé. « Je pense que tous les artistes devraient être engagés par une cause, quelque part ». Sa cause à lui, c’est aussi la Syrie. De ses racines syriennes, il espère pouvoir transmettre à son fils nouveau-né le sens « de la vie en communauté et de l’entraide qui en découle, sans qu’on te demande tes croyances, tes orientations sexuelles, ton équipe préférée de sport… ».
Lui veut juste parler d’humanité, loin des différences. En 2013, il part comme bénévole dans un camp de réfugiés à la frontière turque. « J’ai rencontré des enfants vraiment perdus, sans écoles ni perspectives, rien. J’ai commencé à faire de l’animation et jouer avec eux ». À son retour au Québec, marqué par cette expérience, Chadi monte la pièce de théâtre Je veux jouer, afin de sensibiliser l’opinion sur la situation des enfants réfugiés. Avec l’aide de cinq figures de la scène artistique québécoise — Serge Thibodeau, Stéphane Brunotte, Christine Boisvert, Marya Zarif et Julie Guénette – Chadi met aussi sur pied la fondation « Je veux jouer », pour recueillir des fonds destinés aux enfants des camps de réfugiés syriens de Jordanie et de Turquie. L’argent récolté permet de construire des aires de jeux, des écoles. « Je veux jouer est un cri, souligne-t-il. Le cri de l’enfance qui revendique son droit à vivre et grandir en paix ». Cette mobilisation, c’est aussi ce qui le touche au Québec, « l’implication de ceux qui croient aux mêmes valeurs humaines parce que pour l’agence comme pour la fondation, ce serait impossible de réaliser ça tout seul. »
Producteur syro-québécois en terre ferme
À côté du volet humanitaire qui lui est cher, Chadi continue de développer des projets qui parlent de vivre-ensemble et d’interculturalité. « Il faut donner la chance aux Québécois de connaître les immigrants, il manque cet échange entre les cultures ». Ça tombe bien, ce qui caractérise le plus Chadi Alhelou, c’est d’être un rassembleur. En 2020, il crée et produit le Festival Terre Ferme dans son fief de Godmanchester, en Montérégie, parce que c’est « un gars de la campagne » et qu’il aime ça, les communautés à taille humaine. À chaque édition du Festival, en septembre, il mêle producteurs locaux, artistes et musiciens de tous horizons, écossais, autochtones, africains, asiatiques… À Terre Ferme, on s’amuse, on déguste et on découvre des sonorités d’ici et d’ailleurs, tout ce qui fait le sel de sa vie.
Après presque 20 ans passés au Québec, on pourrait croire que son parcours d’immigration est loin derrière lui. « Malheureusement non, soupire-t-il, car les gens sont stigmatisés dans une certaine image. Moi je suis syrien catholique, mais avec mon visage on m’associe à l’Islam, on me parle des problèmes de voile… ». Au cinéma ou à la télévision, Chadi n’a finalement jamais joué de rôle de prêtre, mais celui d’un chef musulman. Il compose toujours. C’est à cause de cette étiquette qu’il a inventé le terme humoristique de « syro/sirop-québécois » pour se définir, de même que l’organisme à but non lucratif qui produit le Festival Terre Ferme se nomme « Érable et sources » et sa troupe de théâtre au Québec s’appelait « Jasmin érable », autant de preuves s’il en est que « deux sources peuvent se fondre ensemble ».
Festival Terre Ferme 2023, du 15 au 17 septembre 2023, Godmanchester.
Photo : Edouard Zerbe