Originaire du Togo, Lovejoyce Amavi a dû quitter subitement son pays en 2016. C’est un long chemin qui l’a conduit au Québec en 2017 et une porte d’entrée un peu particulière, aujourd’hui close : celle du chemin Roxham. Son périple, il en a fait un livre, Je n’ai pas choisi de partir : une histoire du Chemin Roxham. Il est devenu le visage médiatique et la voix de ce chemin. Lovejoyce Amavi n’avait pas choisi de partir, mais il s’est donné toutes les chances pour rester et s’intégrer pleinement.
Au Togo, Lovejoyce, diplômé en communication, avait une belle carrière, notamment comme consultant auprès de la Présidence de la République, mais en 2016 le vent tourne et les persécutions politiques pleuvent. Après s’être réfugié en Côte d’Ivoire, il part d’abord pour les États-Unis, mais préfère se tourner vers le Québec, terre francophone comme la sienne. Il se souvient parfaitement de cette arrivée à la frontière de Saint-Bernard-de-la-Colle, le 9 août 2017, seul, pour demander l’asile. C’était la veille de ses 37 ans. « Je n’avais pas le choix de cette entrée irrégulière, mais l’accueil reçu des agents de la douane et des hommes de la GRC [Gendarmerie royale du Canada] démontrait une certaine ouverture, une compassion par rapport à notre situation. »
Il a toutefois conscience d’une chose. « Quand on arrive au bout du chemin Roxham, en fait la route ne fait que commencer et il faut savoir se prendre en main ».
Le bénévolat comme clé d’intégration
Dans sa main il a juste son papier brun de demandeur d’asile, une liasse de documents pour appuyer sa demande et le téléphone d’une amie togolaise. C’est elle qui va l’aider dans ses premières démarches : recherche de logement, ouverture de compte en banque pour recevoir l’aide sociale, etc. « Dans un processus d’immigration, le plus important c’est l’inclusion », affirme-t-il. Au Togo, Lovejoyce a laissé sa femme et ses 3 filles qui ont alors 11, 4 et 2 ans. Pour ne pas y penser, il s’engage immédiatement auprès des autres. « Il faudrait exiger le bénévolat de toutes les personnes immigrantes parce que l’expérience est des plus bénéfiques », affirme-t-il convaincu.
C’est ainsi que le Centre de Bénévolat de la Rive-Sud le réfère à La Maison Le Réveil à Longueuil, consacrée à la cause des aînés ; dans le même temps, il est aussi bénévole responsable des communications pour le Relais pour la Vie de Longueuil dans la lutte contre le cancer. « Ça m’a permis de comprendre les enjeux de ma société d’accueil, de pouvoir apporter ma contribution, me sentir impliqué dans la communauté de Longueuil où je vis, mais aussi, d’un point de vue professionnel, de découvrir les médias locaux et mettre à profit mes connaissances en communication ».
En un peu plus d’un an, Lovejoyce est sur tous les fronts. Devenu adjoint à la direction de La Maison Le Réveil, il a aussi créé la campagne Engagez-vous pour nos aînés, et mis sur pied une émission de télévision pour promouvoir le travail des organisations auprès aînés. « Ces implications m’ont sauvé de la dépression, précise-t-il. Se rendre utile aide à garder la tête froide. »
Terre d’accueil, terre d’écueils
Quand il parle du Québec, Lovejoyce aime à préciser que « c’est plus qu’une terre d’asile, c’est une terre d’accueil », un espace distinct du reste de l’Amérique du Nord. « Ce qui est intéressant avec les Québécois, c’est que la conscience de leur vulnérabilité dans une Amérique du Nord anglophone fait qu’ils ont une conscience de la vulnérabilité des autres ».
Pourtant tout n’est pas toujours bleu harmonie au pays de la fleur de lys. Lovejoyce pointe la confusion des discours publics entre intégration et assimilation. « L’important c’est que tout le monde travaille en français, mais la langue parlée à la maison, ça reste de la sphère privée ! », juge-t-il.
Il se méfie aussi du racisme sournois et insidieux, au final plus difficile à combattre que le racisme frontal, et qui lui fait constater que « l’ascenseur social ne s’ouvre pas pour les personnes racisées ». Ces questions le rendent d’autant plus sensible quand il imagine ses filles ici avec lui et de l’importance qu’il y aura à leur rappeler leurs racines. « Ici, j’ai la possibilité d’envoyer à mes filles des poupées noires ce qui est rare en Afrique, raconte-t-il. Ma petite dernière s’en plaint en me disant qu’elle n’est pas noire, parce qu’elle est claire de peau, et je lui dis : “Oui, tu es noire, et il faut que tu te le mettes dans la tête avant d’arriver ici !”. Il sait que ses filles vont s’adapter très vite. L’important reste de ne pas se perdre, car un arbre sans racine n’offre aucune prise si la tempête gronde un jour.
Pour l’instant, seule son imagination défile et l’attente est de mise. Le dossier de rapprochement familial a été déposé il y a plus d’un an.
Avancer un jour après l’autre
Au Togo, ses filles ont désormais 16, 9 et 7 ans, la petite dernière affirme parfois qu’elle ne l’a jamais connu. “Il faut toujours que je trouve les mots pour leur redire que ce n’était pas un choix, et que la situation s’est imposée à moi”, confie-t-il. Cette séparation Lovejoyce l’intègre comme un sacrifice. Il a reçu la résidence permanente en 2021, sa hâte, désormais, est de poursuivre vers la citoyenneté. “Je pense que le jour où j’aurai ma nationalité canadienne ce sera une nouvelle naissance pour moi, et j’arrêterai de me retourner vers le pays où j’ai passé 37 ans” confesse-t-il. Quitter son pays natal, arriver “par effraction” dans un autre pays, se chercher, s’intégrer, dans cette route semée d’embûches et de défis… Lovejoyce dit du chemin Roxham qu’il a été comme “le chemin de Damas”, celui par lequel trouver sa voie, une porte de sortie. Loin de se sentir accompli, Lovejoyce Amavi poursuit sa route, un jour après l’autre. La voie qu’il avait prise est désormais fermée, mais sa voix à lui reste synonyme d’espoir.
Photo : Jacob Richemond