L’entrée en vigueur de la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), aussi attendue par certains que décriée par d’autres, est désormais officielle. Que faut-il retenir des nouvelles mesures en vigueur, et quels en seront les impacts prévisibles ?
La réforme du PEQ n’est une surprise pour personne. Elle constitue la dernière pierre au vaste chantier de l’immigration économique au Québec entreprise par le gouvernement il y a un an et demi, et dont l’objectif avoué est de réformer les conditions d’accès au statut permanent pour mieux le réserver aux personnes immigrantes qui auront su démontrer leur capacité à s’intégrer à la société québécoise.
C’est ainsi que l’on assiste, depuis février 2019, à une refonte des deux programmes traditionnels de sélection permanente au Québec, selon une méthodologie identique dans les deux cas : le gel des mesures en vigueur en attendant la réforme du système.
Le premier concerné a été le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ), la voie classique d’accès à la sélection permanente et première étape nécessaire vers la résidence permanente au Canada. On se souvient de la « crise des 18 000 dossiers », en février 2019, qui avait précédé le lancement officiel de la plateforme Arrima et la réforme complète du programme, en juin 2019.
Cette première réforme avait été immédiatement suivie par des mesures conservatoires touchant le second programme de sélection permanente, le Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Ainsi, dès juillet 2019, le MIFI annonçait la suspension immédiate, et jusqu’au 1er novembre 2020, des demandes de sélection permanente présentées par les étudiants étrangers dans le cadre du PEQ — Diplômé du Québec. À l’époque, déjà, nous posions la question ouvertement : les jours du PEQ tels que nous le connaissions étaient-ils, eux aussi, comptés ? La réponse est venue au mois de novembre, avec un premier projet de réforme du programme, certes avorté, mais qui aura permis de révéler les intentions du gouvernement à son sujet : la révision du PEQ n’était qu’une question de temps.
C’est ainsi qu’un second projet de réforme du PEQ a été introduit le 28 mai 2020, légèrement assoupli le 9 juillet par la nouvelle ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault.
Les nouvelles règles du PEQ
La réforme concerne les deux volets du PEQ, celui des travailleurs étrangers temporaires et celui des diplômés du Québec. Mais elle prévoit aussi des mesures transitoires pour certaines personnes qui résident déjà au Québec.
L’une des principales mesures est commune aux deux volets et touche les délais de traitement. Traditionnellement, le PEQ était une voie rapide d’accès à la sélection permanente par le Québec. Les délais étaient de 20 jours ouvrables. Ils sont désormais portés à 6 mois, soit autant que ceux annoncés dans le cadre du PRTQ.
Pour le reste :
Le PEQ — Diplômé du Québec
Le PEQ — Travailleur étranger temporaire
Les mesures transitoires
Certaines personnes déjà présentes au Québec pourront bénéficier des anciennes dispositions du programme.
- Les travailleurs étrangers temporaires qui résident au Québec et sont titulaires d’un permis de travail avant le 22 juillet 2020, y compris ceux qui occupent un emploi de catégories C et D (CNP) ;
- Les étudiants étrangers qui obtiendront leur diplôme avant le 31 décembre 2020 ;
- l’exigence d’une connaissance orale du français de niveau 4 pour l’époux ou le conjoint de fait n’entrera en vigueur que le 22 juillet 2021.
Plus d’information sur le PEQ – Travailleur étranger temporaire.
Plus d’information sur le PEQ – Personne diplômée du Québec.
Le PEQ : un peu d’histoire
Depuis sa création en 2010, le PEQ est conçu comme l’outil par excellence d’arrimage entre l’immigration et l’économie du Québec, parce qu’il s’adresse à une frange particulière des personnes immigrantes : celles qui se trouvent déjà au Québec, qui occupent un emploi ou qui achèvent avec succès un programme d’études ; celles qui sont francisées — du moins suffisamment pour obtenir un diplôme ou travailler au Québec ; celles, par conséquent, qui ont déjà entamé leur processus d’intégration dans la province.
Le PEQ n’a jamais été accessible à tout venant, comme c’est le cas du PRTQ, un programme théoriquement ouvert à tous, y compris à des personnes qui ne sont jamais venues au Québec.
Aux origines du PEQ
Au moment de sa création, le PEQ répond à une double problématique :
- permettre aux entreprises québécoises d’accéder rapidement à une main-d’œuvre non seulement qualifiée, mais qui souhaite aussi s’installer durablement au Québec, et
- offrir à ces personnes une garantie essentielle : celle de la prévisibilité de leur accès à un statut permanent, selon un échéancier raisonnable — et surtout acceptable, par rapport à la subjectivité et aux incertitudes pesant sur le PRTQ.
En 2010, le PEQ était aussi un moyen de stabiliser des travailleurs étrangers temporaires durement touchés par le chômage : 14 % d’entre eux étaient sans emploi, alors que le Québec affichait un taux de l’ordre de 8 %. Le PEQ était alors un moyen d’alléger certaines de leurs démarches destinées à maintenir leur statut au Québec, dans une période déjà difficile de recherche d’emploi.
Le système d’immigration, victime de son succès
L’accroissement considérable du nombre de personnes venues s’installer au Québec depuis le début des années 2000 a confronté deux réalités :
- une pression grandissante, exercée sur un système d’immigration, provincial comme fédéral, inadapté à l’afflux soudain de demandeurs, et
- des attentes élevées de la part des résidents temporaires, habitués aux délais de traitement ultra rapides que l’on connaissait dans un contexte d’immigration faible, au début des années 2000 et jusqu’au milieu des années 2010.
L’accès au CSQ et à la résidence permanente en 6 mois tout compris, comme c’était le cas il y a 15 ans, n’est plus qu’un lointain souvenir.
De fait, depuis les années 2010, les délais se sont allongés, au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux immigrants, temporaires comme permanents. Le traitement d’une demande de résidence permanente au fédéral pour les travailleurs qualifiés sélectionnés par le Québec a lentement glissé à 8 mois, 12 mois, puis 15 mois, enfin 24 mois… Plus encore, désormais, avec la pandémie de Covid-19.
Et ce délai n’inclut pas la procédure préalable de sélection permanente par le Québec, du moins par la voie régulière du PRTQ, dont les délais de traitement sont montés jusqu’à 36 mois, de l’aveu du gouvernement, lors du lancement d’Arrima en 2019.
Une nouvelle norme s’est ainsi installée, celle de l’attente, à laquelle les personnes immigrantes se sont peu à peu habituées. Et puis, dans cette relative adversité, il restait toujours le PEQ.
Le PEQ, l’étoile du berger du résident temporaire
C’est en cela que le PEQ avait une saveur particulière pour tous les résidents temporaires qui avaient déjà largement investi dans le Québec : en dépit de tout, que l’on remplisse ou non les petites cases et les grilles de points prévues dans le cadre du PRTQ, il restait possible d’accéder à la sélection permanente en 20 jours ouvrables, grâce au PEQ.
Ce CSQ (valable deux ans, rappelons-le) qui a, au moins, le mérite de dispenser l’employeur d’Étude d’impact du marché du travail (EIMT) ; qui permet de déposer sa demande de résidence permanente auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) ; ou encore qui permet de s’installer au Québec quand on a 50 ans, qu’on maîtrise mal l’anglais et que l’on n’a pas d’enfant à charge…
Pour parer à l’allongement des délais et permettre au Québec, dont les besoins de main-d’œuvre étaient inassouvis, d’accueillir davantage d’immigrants (et donc d’immigrants permanents), des aménagements ont même été faits pour ouvrir l’accès au PEQ à une clientèle plus large.
Au départ, le PEQ était réservé au seul demandeur principal, occupant un emploi spécialisé de catégorie 0, A ou B, au sens de la Classification nationale des professions (CNP). Puis, une réforme, entrée en vigueur à l’été 2018, a ouvert son accès aux emplois peu spécialisés de catégories C et D, de même qu’aux époux et conjoints d’étudiants et de travailleurs étrangers temporaires.
Difficile de connaître les effets réels de cette ouverture du PEQ, de même que de positionner la popularité du PEQ 2018 vis-à-vis d’un Programme régulier des travailleurs qualifiés érigé depuis en voie naturelle d’accès à la sélection permanente par le Québec, et sur lequel les autorités misent aujourd’hui.
Reste à savoir quel sera l’impact de cette réforme sur l’avenir du PEQ — et de l’immigration permanente au Québec, dans un avenir proche.
Quels sont les impacts à prévoir de cette réforme ?
Le PEQ est-il mort, comme le clament certains ? La réponse n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air.
Des interrogations légitimes
À y regarder de près, on comprend certaines levées de boucliers à l’égard de la réforme du PEQ, qui est plus restrictive que la précédente version du programme. Le PEQ et la promesse d’un accès rapide à la résidence permanente (au moins sur son volet provincial), étaient un levier important d’attraction d’étudiants étrangers pour les établissements d’enseignement du Québec. Rappelons que ces établissements ont un besoin, parfois vital, des étudiants étrangers et des frais de scolarité élevés qu’on exige de leur part. Une tendance commune dans toute l’Amérique du Nord, où l’attraction des étudiants étrangers n’est pas qu’une question de prestige, mais aussi et surtout une condition au bon fonctionnement du système éducatif.
Mais si les établissements québécois ont en partie perdu l’argument de la sélection permanente, la réforme leur ouvre aussi de nouvelles avenues intéressantes, en particulier dans le développement de services d’accompagnement des étudiants étrangers vers l’emploi et l’intensification du maillage entre le secteur de l’éducation et les entreprises au Québec.
Cela dit, de manière plus générale, la réforme 2020 du PEQ soulève d’autres interrogations.
Pour les étudiants étrangers, il est légitime de leur demander de faire état d’une première expérience significative de travail avant de pouvoir prétendre à la sélection permanente. Nous l’avions d’ailleurs déjà évoqué l’an dernier.
On a, en revanche, plus de difficulté à justifier la hausse de 12 mois à 24 mois passés en emploi à temps plein, qui est maintenant demandé aux personnes relevant du volet des travailleurs étrangers temporaires. Que cherche-t-on à démontrer, exactement, avec ces 12 mois supplémentaires ? Est-ce à cela que l’on mesure l’intégration de ces travailleurs à leur société d’accueil ? La réponse qu’ils amènent à un besoin actuel de main-d’œuvre au Québec ? Le fait que le temps passé en emploi ait été, sans explication, revu à la baisse entre le projet annoncé le 28 mai 2020 (36 mois) et la réforme définitive retenue le 9 juillet (24 mois) nourrit un certain sentiment d’arbitraire dans cette prescription.
Mais la véritable incompréhension de la réforme est le passage du délai de traitement de 20 jours à 6 mois, dans le but « d’assurer une cohérence avec les délais de traitement du Programme régulier des travailleurs » (PRTQ), des mots du ministère. Le PEQ a toujours été un programme à part. Un programme « accéléré ». Une marque de « reconnaissance de l’apport des travailleurs étrangers temporaires et des étudiants étrangers diplômés », pour reprendre à nouveau les termes du ministère. Harmoniser les délais de traitement entre le PEQ et le PRTQ, c’est gommer une part essentielle de ce qui faisait le PEQ, qui avait justifié sa création et pérennisé sa popularité.
Le pari risqué du gouvernement
La véritable raison de cette réforme tient peut-être dans la seule particularité du PEQ qui n’est, à aucun moment, nommée ou évoquée : sa prévisibilité.
Avec le PRTQ et son système de déclaration préalable d’intérêt par les candidats à l’immigration permanente, le MIFI s’assure une certaine visibilité sur le nombre de demandes traitées, afin d’éviter les engorgements. Cette solution lui donne aussi un bien plus grand contrôle sur sur les personnes immigrantes qui sont sélectionnées et entrent sur le territoire – sans oublier le suivi de leur intégration avec le Parcours d’accompagnement personnalisé. Dans tous les cas, tant que ces personnes ne sont pas invitées par le ministère à présenter une demande de sélection permanente, elles restent en attente, dans le grand bassin de prétendants à l’immigration.
Avec le PEQ, les autorités perdent ce contrôle, parce qu’une personne admissible au programme y est admissible de plein droit, qu’elle « réponde aux besoins du Québec et de ces régions »… ou pas. On comprend ainsi l’intérêt du gouvernement à verrouiller autant que possible la voie du PEQ au profit du PRTQ.
Mais en voulant à tout prix privilégier la voie régulière du PRTQ, le gouvernement fait un pari risqué.
D’abord, en dirigeant le flux des candidats à la sélection permanente vers Arrima, il fait peser sur le PRTQ une lourde responsabilité de réussite. Si Arrima échoue à livrer selon les objectifs et les délais annoncés, il deviendra de fait très difficile d’immigrer au Québec de façon permanente. Ce qui nous amène au second point.
Si le Québec n’est pas en mesure de répondre convenablement aux déclarations d’intérêt et aux demandes de sélection permanente qu’il reçoit, il court le risque de voir des personnes immigrantes ayant un projet de vie, de travail ou d’études au Canada se détourner du Québec vers les autres provinces.
Le PEQ 2020, c’est pour qui ?
Le PEQ n’est, pour autant, pas totalement mort.
Avant toute chose, la réforme du 22 juillet 2020 crée une nouvelle réalité de l’immigration permanente au Québec. Au risque de tomber dans la caricature, on pourrait dire que, jusqu’alors et en dépit de l’allongement constant des délais de traitement au provincial et au fédéral, il était facile et assez rapide d’immigrer de façon permanente au Canada, depuis le Québec. Désormais, le processus est moins simple, et surtout beaucoup plus long.
Pour les prétendants à l’immigration permanente au Québec, quelques questions seront de mise avant de se lancer. Suis-je capable d’attendre les délais annoncés ? Suis-je flexible au changement et à l’allongement des délais en cours de route ? Suis-je capable de débourser les sommes demandées tout au long du processus ? Ai-je la certitude de vouloir vivre au Québec ? Et, pour les personnes déjà au Québec, suis-je prêt à accepter un statut temporaire de longue durée et à en assumer la précarité ?
Si les réponses sont oui, le PEQ 2020 conserve son atout maître : sa prévisibilité.