
On imagine sans peine la stupéfaction des autochtones à voir débarquer les premiers Européens, marins et soldats, hirsutes, affamés, dépenaillés et malades. Leur étonnement serait surtout venu de découvrir des hommes « avec des cheveux au menton, pas de femmes et navigant sur de grandes îles en bois. »
Après toute une série d’explorations aux incidences éphémères (notamment celle de l’anglais John Cabot en 1497 à Terre-Neuve, suivie de celles des Portugais Gaspar Corte-Real en 1501 et Joao Alvares en 1521 puis de Giovanni Verrazzano), la course au Canada ne compterait que des abandons si, cette fois sérieusement appuyés par François Ier, Jacques Cartier puis Jean-François de Roberval, entre 1534 et 1542, n’avaient persisté à rechercher cette voie maritime à travers l’Amérique du Nord afin de joindre la Chine — dont le souvenir subsiste à Montréal avec les rapides de « Lachine » sur le Saint-Laurent. L’ayant d’autant moins trouvée qu’elle n’existe pas, ils engagent, un peu comme une compensation, l’esquisse d’une colonisation. Lors de son troisième et dernier voyage, Jacques Cartier croit avoir découvert des diamants ; il ne s’agit que de cristal de quartz, ce qui discrédite l’explorateur à la Cour de France et popularisera l’expression « faux comme un diamant du Canada. » Au passage, il a cependant baptisé un site « Montréal », du nom du seigneur éponyme qui l’accompagne et de son fief en Armagnac.
Henri IV, sous l’impulsion de Samuel de Champlain, qui est peut-être son fils naturel, reprend le projet de François Ier et lui assigne un ambitieux objectif : installer une « Nouvelle France » en Amérique du Nord, comme il existe déjà une « Nouvelle Espagne » sur la majeure partie du reste du continent. Sous le règne de Louis XIII, le cardinal de Richelieu développe le projet et lui consacre d’importants moyens, commerciaux, administratifs et militaires, avec l’aide de l’Église catholique qui voit là-bas l’opportunité de poursuivre l’Évangélisation de la Terre. La mode des fourrures, qui sévit alors en Europe, semble offrir d’attrayantes perspectives à la colonie. Mais le fringant ministre commet l’erreur de refuser aux protestants, qu’il persécute dans l’hexagone, d’émigrer vers le Nouveau Monde. Il est possible que, sans cela, « les premiers hommes sur la Lune auraient parlé français et non anglais » selon les propos tenus en 1967 par Daniel Johnson, alors Premier ministre du Québec.
Louis XIV non plus n’aime pas les protestants, mais, conseillé par Colbert, lui-même sollicité par le « grand intendant » Jean Talon, il comprend la nécessité d’apporter à la Nouvelle-France une population qui travaille et qui se reproduit, et non plus seulement des prêtres et des soldats. Son ministre se montre également favorable à une totale intégration des indigènes dans le respect de leurs traditions afin de ne former qu’un seul peuple, « multiculturel » avant l’apparition du mot : une vision très moderne, mais inappliquée…
Sur la côte atlantique, Anglais et Hollandais ont aussi établi des embryons de colonies qui ne cachent pas leur aspiration à s’étendre et dont la population s’accroît rapidement. Il faut donc faire venir de France un plus grand nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes ; ce seront les fameuses « Filles du roi » chargées, de 1663 à 1673, de transformer une population d’hommes seuls en une communauté de familles françaises destinées à faire souche. On n’en comptera finalement qu’environ huit cents, ce qui demeure très insuffisant au regard des besoins.
À l’orée du XVIIIe siècle, et malgré les immenses progrès réalisés dans la mise en valeur du territoire sous l’égide de gouverneurs et d’intendant efficaces et déterminés, tels que Louis de Frontenac puis Hector de Callières, la Nouvelle-France souffre d’inquiétantes faiblesses, principalement de trois ordres : géographique, avec un insuffisant ou fragile accès à la mer compte tenu de l’expansion de la Nouvelle-Angleterre et des conflits qui s’accumulent avec elle, démographique, avec un peuplement qui demeure endémique (environ 20 000 colons d’origine française contre 300 000 du côté anglais) et social, en raison des chaotiques relations avec les Iroquois, dont les fréquents raids dévastent les terres et en ralentissent l’exploitation.
Texte : Daniel de Montplaisir, auteur de Histoire du Canada, biographie d’une nation, Paris, Perrin, 2019