Si, dans « l’Ancien Monde », les vagues successives de migrations ont généré des nations aux contours et aux populations relativement homogènes, et qui se reconnaissent comme telles, il en va différemment dans le « Nouveau Monde », où la greffe des Européens sur les autochtones n’a jamais pris que très partiellement. On explique difficilement cette dissonance. D’autant moins que les pays dits « neufs » ne sont, en réalité, pas plus récents que les pays dits « anciens » : si l’on prend comme repère, par exemple, l’an 500, nous savons maintenant que d’un bord à l’autre de l’Atlantique, les connaissances et les outils humains ne différaient guère, non plus que leurs rites religieux tout empreints de mystères : sur la rive orientale le miracle de la transsubstantiation, sur la rive occidentale, celui de la migration des âmes…
Pourquoi donc le rêve de Colbert ou, beaucoup plus récemment, le pragmatisme de Pierre-Elliot Trudeau, qui se disait, dans son Livre blanc de 1969, favorable à une nationalité citoyenne unique, quelle que soit l’origine ethnique de la personne, n’ont-ils pu déboucher sur un melting pot ? Ces échecs confirment combien la cohabitation, sur un même territoire, de peuples aux origines, comme aux traditions, hétéroclites, soulève d’infinies difficultés qu’il serait vain d’espérer résoudre en se limitant à désigner des boucs émissaires.
S’agissant de l’Amérique du Nord, la colonisation européenne a, après avoir conquis l’essentiel du sous-continent, principalement emprunté trois types de comportements à l’égard des autochtones : l’élimination, la séparation et l’assimilation, pas toujours incompatibles dans l’action d’un même gouvernement. Rappelons, à gros traits, que la politique coloniale anglo-saxonne privilégie les deux premières formules, tandis que, du côté français, le poids de l’Église catholique a poussé vers la troisième. Dans le meilleur des cas, les autochtones ont subi de lourdes atteintes à leur identité.
C’est pourquoi, à la fin des années soixante, la politique du gouvernement canadien a tourné le dos à la politique d’assimilation, dite « post-confédérale », traduite dans la Loi sur les Indiens de 1876, pour s’orienter vers l’objectif général d’autonomie des peuples autochtones déterminée par des traités ad hoc.
Depuis lors, la loi constitutionnelle de 1982 a reconnu des droits spécifiques aux Premières Nations, fondés sur la notion d’autodétermination politique permettant aux communautés de concevoir des formes de gouvernement spécifiques — sans, toutefois, remettre en question l’unité canadienne. En découlent, depuis 1995, des accords territoriaux négociés entre les autorités fédérales et provinciales et les représentants désignés des communautés concernées. Trente-quatre groupes ont ainsi, à ce jour, conclu des ententes d’autonomie, couvrant environ huit cent mille personnes, soit la moitié de la population canadienne issue des Premières Nations.
Parallèlement, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont mis en place et financent des programmes de soutien à ces mêmes communautés autochtones, notamment en matière de logement, de santé, de sécurité, de garde et d’éducation des enfants, d’accès à l’eau potable, de respect et de valorisation des autres ressources naturelles, de préservation du patrimoine linguistique.
L’ensemble de ces dispositifs s’inscrit désormais dans le cadre de la loi de juin 2021 « sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. »
Le gouvernement fédéral a fixé comme priorité, à compter de 2022, la « lutte contre la discrimination et les préjudices passés subis par les enfants et les familles autochtones », notamment pour faire face et solder le passé de « l’héritage honteux des pensionnats indiens ».
Enfin, plusieurs modifications législatives sont mises en chantier afin de soutenir l’autonomie, le respect et le mieux-être des communautés, spécialement pour la gestion de leurs territoires, les incidences des changements climatiques, l’élaboration de partenariats mieux équilibrés en matière de ressources naturelles, le développement économique des cinquante mille entreprises tenues par des autochtones.
Ainsi un certain consensus semble aujourd’hui se dégager. Il s’agit de dépasser les clivages politiques pour qu’un certain néo-colonialisme, paternaliste et charitable, encore perceptible il y a peu, laisse la place à un volontarisme commandé par le principe du « vivre ensemble » si bien mis en valeur par Ernest Renan, et qui n’a plus aucune raison de ne pas s’appliquer aussi au « Nouveau Monde. »
Texte : Daniel de Montplaisir, auteur de Histoire du Canada, biographie d’une nation, Paris, Perrin, 2019