
Au lendemain de la naissance de la confédération, le Canada doit, pour affirmer et consolider son identité, surmonter trois types de contraintes, qui sont autant d’objectifs politiques : le voisinage exclusif avec les États-Unis, nation en plein essor tentée d’imposer son autorité à toute l’Amérique en dépit du traité de Gand ; le rattachement à la couronne britannique, qui a conservé pour elle-même les compétences diplomatique et militaire ; la cohabitation de trois types de populations, anglophone, francophone et autochtone.
Avec près de 9 000 kilomètres, la frontière entre le Canada et les États-Unis, y compris avec l’Alaska, est de très loin la plus longue séparant deux États au monde. De part et d’autre de celle-ci, la porosité de certains paysages, notamment dans les grandes plaines du centre, l’interpénétration des cultures, la commune « ruée vers l’Ouest » et la multiplication des échanges commerciaux rendent les deux nations interdépendantes, mais avec deux différences considérables : l’une est douze fois plus peuplée et devient la première puissance mondiale quand l’autre dépend toujours d’un empire lointain en train de décliner. En se détachant progressivement du Royaume-Uni, le Canada court donc le risque de devenir, sinon de droit, du moins de fait, une dépendance des États-Unis. On aurait pu craindre pour lui, surtout après l’achat de l’Alaska à la Russie par les États-Unis, deux mois avant l’Acte constitutif de la Confédération canadienne, et les âpres négociations pour en fixer les limites, que tout le Nord-Ouest du continent ne bascule du côté du plus fort. Non seulement il n’en fut rien, mais le Canada réussit à faire entrer dans son giron toute la bordure nord de l’Amérique, de l’Atlantique au Pacifique, avec les rattachements successifs de territoires relevant souvent jusqu’ici de la Compagnie de la Baie d’Hudson : le Manitoba en 1870, la Colombie-Britannique en 1871, l’Île-du-Prince-Édouard, en 1873, l’Alberta et la Saskatchewan en 1905, enfin Terre-Neuve et Labrador en 1949. Car jusqu’à nos jours, à de rares et brèves exceptions près, tous les gouvernements canadiens veillèrent à bâtir avec le grand voisin une étroite collaboration basée sur le respect de la personnalité et de la liberté de chacun.
Dans le même temps, c’est-à-dire jusque vers 1914, les relations avec le Royaume-Uni évoluèrent vers un partenariat quasiment égalitaire dès lors que le Canada rapatria par étapes sa politique étrangère et de défense. Dès 1871, le dernier soldat anglais avait quitté le sol canadien. En 1877, le Royaume-Uni délia son ancienne colonie de l’obligation d’appliquer les traités de commerce qu’il signait avec des États tiers. En 1880, Londres accepta que le Canada prenne seul le contrôle des régions arctiques. En 1885, Ottawa refusa d’aider militairement l’Angleterre dans sa campagne du Soudan, mais lui consentit, en 1902, un soutien limité dans la guerre des Boers en Afrique du Sud contre le droit de posséder sa propre représentation diplomatique à Washington. Parallèlement, les deux pays échangèrent sinon des ambassadeurs, comme deux nations souveraines, du moins des hauts-commissaires, formule encore en vigueur de nos jours, distinction de portée plus protocolaire que réelle.
L’entrée du Canada dans la Première Guerre mondiale se fit donc, non par soumission à l’Angleterre, mais par solidarité volontaire avec l’Empire britannique et avec la France, à l’unanimité des partis conservateur et libéral, l’ancien Premier ministre et alors chef de l’opposition Wilfrid Laurier déclarant : « Nous sommes fidèles à la grande nation qui nous a donné la vie ; nous sommes redevables à la grande nation qui nous a donné la liberté ». Le succès, parfois décisif, comme à Vimy en avril 1917 dans le Pas-de-Calais, des armes canadiennes valut au dominion une pleine reconnaissance internationale, le droit de participer en tant que tel aux négociations de paix et d’occuper un siège à part entière dans la Société des Nations (SDN) à Genève. Depuis lors, le Canada figure sur la scène internationale comme une puissance totalement indépendante. Ce que les décennies suivantes et la Deuxième Guerre mondiale confirmeront.
Sur le plan purement symbolique, mais souvent significatif, le pays avait, dès 1880, retenu pour hymne national le chant « Ô Canada » des francophones Calixte Lavallée (pour la musique) et Adolphe Routhier (pour les paroles, traduites en anglais en 1906). Le « God save the king » demeure néanmoins l’hymne de la couronne britannique et canadienne. En revanche il faudra attendre 1965 pour que le drapeau dit unifolié, à feuille d’érable rouge, remplace le Red Insign, retenu en 1868 et marquant alors l’appartenance de la Confédération à l’Empire britannique.
Le Canada profite aujourd’hui d’une excellente image dans le monde : pays des droits de l’homme, des libertés publiques et de la paix — il fut à l’origine des opérations de maintien de la paix à l’ONU. Il lui reste, au plan interne, à donner plus de fluidité et de lisibilité à la répartition des compétences entre le niveau fédéral (le terme de « confédéral » fut peu à peu abandonné) et les provinces, spécialement le Québec.
Celui-ci avait manifesté son irrédentisme en adoptant, en 1948, le drapeau fleurdelysé en hommage aux origines de la Nouvelle-France. La question de sa pleine intégration au Canada préoccupait déjà John McDonald, déclarant, après la promulgation de l’Acte confédéral : « Nous avons fait le Canada ; il nous reste à faire les Canadiens. »
Texte : Daniel de Montplaisir, auteur de Histoire du Canada, biographie d’une nation, Paris, Perrin, 2019